MT image

Les grands stylistes: la reine de coeur Qualita Bourbon | LETROT
Série de l'Eté

Les grands stylistes: la reine de coeur Qualita Bourbon

09/08/2024 - PORTRAITS - SETF - Jacques Pauc
Nous vous proposons pendant tout l'été de retrouver les grands champions qui ont construit la légende du Trot. Chaque vendredi, nous publions un article sur un cheval d'exception. Nous continuons le chapitre des grands stylistes avec Qualita Bourbon.
Qualita Bourbon ©Scoopdyga - Qualita Bourbon remporte le Critérium Continental 2008
Qualita Bourbon ©DR - Qualita Bourbon

Après deux courses en province (deuxième et première), Qualita Bourbon découvrit Vincennes l’été de ses 2 ans, le 28 septembre 2006. Trottant en dehors du leader elle gagna facilement en 1’16’’5 (2 175 mètres grande piste), faisant forte impression. "Ce jour-là, raconte Yann Potel, après le deuxième heat Jean-Pierre Dubois m’a dit ’’on va enlever l’enrênement ’’ce qu’on n’avait encore jamais fait. Et il avait dû sentir quelque chose de spécial sur son sulky lors de cette victoire… Car dès le lendemain matin on était à quatre pattes pour mesurer la longueur de ses pieds et mieux lui ajuster sa ferrure. Qualita avait mal à la sole en effet. Il avait aussi commandé des bottines spéciales aux Etats-Unis car elle se touchait en bas en trottant. A partir de cette période tout fut réglé comme dans l’écurie Ferrari, au millimètre ! Jean-Pierre Dubois la prenait tout le temps au travail et quand il me la donnait il me disait ’’reste derrière moi’’. Il a fait un travail extraordinaire avec Qualita Bourbon. Elle tirait au début et il me la faisait marcher des heures sur ses pistes de galop, dans le fouillant. Ainsi, avec le temps, elle s’était calmée. Et au début on la drivait « à la Peace Corps » c’est à dire les mains en l’air afin que les guides ne touchent pas les fesses de la jument." 

Cette année-là, Qualita Bourbon allait affronter les meilleures femelles de sa promotion et les battit à chaque fois. La plupart du temps, elle allait devant et dominait tout le monde sans forcer (voir dans les Prix Vourasie et Une de Mai). Et durant ce meeting d’hiver 2006-2007, elle demeura invaincue, signant ensuite deux autres faciles victoires dans les Prix Gélinotte (1’17’’2-2700 m GP devant Quilea Jiel) et Uranie (1’14’’9-2175 m-GP-devant Qualie D'any et Quinella Aimef). Favorite du Critérium des Jeunes où elle affrontait les mâles pour la première fois, elle ne déçut pas, passant en tête aux tribunes pour contrôler la course et devancer facilement Quido Du Goutier, Quintillus et Quick De La Loge (en 1’16’’1- 2 700 m-GP), drivée comme d’habitude par Jean-Pierre Dubois.

Et à 3 ans elle continua sa moisson de succès, même si elle ne revint à la compétition que durant l’été, après un break de quelques mois suivant sa victoire dans le Critérium des Jeunes. Yann Potel explique : "La pouliche s’était mise à tousser, ayant une allergie. Plutôt que de la traiter avec des antibiotiques, ce que voulait le vétérinaire, Jean-Pierre Dubois décida de lui faire un abcès de fixation. Et il mit Qualita au paddock avec une galopeuse."
Sa rentrée au mois d’aout fut victorieuse (Prix Guy Deloison-1’16’’-2 150 m-GP) puis elle prépara le Prix de l’Etoile en signant un nouveau succès dans le Prix Uranie (2 700 m-GP-1’15’’7) ne cherchant pas à gagner de loin, sans puiser dans ses réserves, « à la Dubois » pourrait-on écrire.

Dans le Prix de l’Etoile, où seuls six de ses contemporains l’affrontaient, il fallut bien sûr aller plus vite, mais Qualita Bourbon fit une démonstration de sa classe : dévalant la descente à grande vitesse, elle contrôla ensuite la course, gagnant en 1’12’’5 (2150 m-GP) comme à la parade devant Quido du Goutier et Quick de la Loge. Puis le meeting d’hiver arriva et après avoir manqué un engagement (un oubli du personnel de Jean Pierre Dubois alors en voyage à l‘étranger), elle signa une facile victoire pour sa rentrée dans le Prix Queila Gede (Critérium des Pouliches) (1’15’’6 -2 700 m-GP devant Quille Viretaute et Quintaescencia). On voyait dès lors mal qui pourrait la battre dans le Critérium des 3 ans.

Pourtant elle fut battue, de peu certes, mais battue à la fin par Quaro (1’13’’6-2700 m-GP), nouveau venu au sommet de cette promotion. Présenté déferré des quatre pieds, celui-ci, littéralement "porté" par Jean-Michel Bazire ("je lui ai soulevé à la queue à la fin, ça passait ou ça cassait !" dira-t-il) vint lui prendre une tête sur le poteau alors que Qualita Bourbon, fatiguée, se perdait dans ses allures (cela motivant une enquête). Quaro était certes alors un champion en devenir, mais le duel entre Qualita Bourbon et Quido du Goutier dans la descente et la plaine, (un kilomètre sur le pied de 1’10’’ !) avait été âpre. De plus, après cette première débauche d’énergie, la jument dut ensuite contrer Quel Amour Dudel au début de la montée. Jean-Pierre Dubois dira ensuite : "Il fallait qu’elle soit courageuse pour faire cela."
La série de treize victoires consécutives de Qualita Bourbon venait de prendre fin. Mais la championne allait se relever de ce semi-échec.

TROISIEME DU PRIX D’AMERIQUE

Tout d’abord elle renoua avec la victoire en fin de meeting dans le classique Prix de Sélection (1’12’3’’-2150 m-GP) s’imposant de nouveau de bout en bout devant Quel Amour Dudel, Qualmio De Vandel et Quaker Jet. C’est à cette période que Jean-Pierre Dubois racheta la moitié de Qualita Bourbon à Rainer Engelke, devenant son seul propriétaire. Mais après deux autres victoires dans les préparatoires au Critérium des 4 ans, dans les Prix Paul Leguerney (rendant 25 mètres sur 2850 mètres-PP) et Gaston de Wazières, la jument devait subir la loi des mâles dans le grand Classique du printemps, devant se contenter de la troisième place derrière Quaro et Quel Amour Dudel (en 1’13’’5 -2 850 m-GP contre 1’13’’3 au vainqueur). Obligée de trotter en dehors du leader Quaro, elle plafonna à la fin, Quaker Jet terminant quatrième. Avait-on assisté à une passation de pouvoir au sommet de cette génération ? Ou la jument était-elle dans un mauvais jour ? Qualita Bourbon donna sa réponse sur la piste : on la revit seulement trois mois plus tard dans le Prix Guy le Gonidec, où, drivée par Jos Verbeeck pour la première fois, elle surclassa le lot en 1’13’’4 (2700 m-GP), dominant Quarla. Puis en préparation au Grand Prix de l’UET à Milan, elle gagna le Prix Lupus et son éliminatoire sans émotion.

Vint la finale du Grand Prix de l’UET disputée le 30 novembre 2008, toujours à San Siro. Bien partie Qualita Bourbon se retrouva vite en tête, en dehors de son compagnon d’écurie Infinitif (Jean-Pierre Dubois). Pour finir elle fut dominatrice, triomphant en 1’13’’ (2100 mètres-autostart). Jos Verbeeck raconte : "Juste avant le départ, Jean-Pierre Dubois m’avait dit ’’Je serai avec toi dans le premier tournant’’ (rires). Et cela s’est passé comme prévu, on a fait la course à deux, personne ne pouvant inquiéter la jument pour finir." Ensuite ce fut un nouveau succès dans un Groupe I, le Critérium  Continental à Vincennes au mois de décembre. Le temps était mauvais et Qualita Bourbon était la seule concurrente à être présentée ferrée des quatre pieds parmi les seize concurrents. Malgré ce désavantage, après avoir attendu en bonne place, elle vint battre Qualmio de Vandel sur la fin (en 1’12’’3-2100 m-GP-autostart), Quarla, Ilaria Jet et Quaker Jet venant ensuite non loin d’eux. Jos Verbeeck commenta : "Qualita Bourbon n’était pas comme les autres produits de Love You. Elle aimait dominer. Elle était facile à driver. Et avant que je ne la mène, elle avait déjà réussi une grande carrière."

Cinquième du Prix de Croix (rendant 25 mètres), Qualita Bourbon retrouva Jean-Pierre Dubois pour disputer son seul et unique Prix d’Amérique à 5 ans. Elle y réussit la dernière grande performance de sa carrière. Car assez rapidement en dehors de l’animateur et futur vainqueur Meaulnes Du Corta, elle ne fut battue qu’à la fin par Nouba Du Saptel pour la deuxième place (réussissant 1’12’’5-2700 m –GP). Jean-Pierre Dubois était heureux de cette prestation même s’il dira plus tard : "On n’était pas montés vite dans ce Prix d’Amérique et j’étais à l’extérieur de Meaulnes du Corta, ’’nez au vent’’. Si je l’avais bien drivée en la plaçant dans un dos, je pense qu’elle aurait terminé facile deuxième. Avant cette course, je l’avais emmenée travailler à la plage et cela lui avait plu. Cela les change car il n’y a pas d’ondes de choc. J’aurais dû le faire plus souvent car on aurait pu mieux faire avec elle. Heureusement, peu de temps après on n’a pas été trop idiot en la faisant entrer au haras." 

QUALITA BOURBON AU HARAS

Jean-Pierre Dubois aime entrer au haras ses bonnes juments jeunes avant qu’elles ne soient trop usées. Il croit en cela et ses résultats en élevage lui donnent raison. Avec Qualita Bourbon, il a d’abord réalisé un transfert d’embryon pour la dernière année où cela était autorisé. De cette union spéciale (avec Infinitif) naquit un mâle, qui dira-t-il "a couru honorablement au Canada. C’était un beau cheval. Mais j’avais fait une consanguinité un peu rapprochée sur Coktail Jet (3x3)."

Ensuite, il fit saillir Qualita Bourbon par le champion américain Donato Hanover 1’08’’ (Andover Hall) lauréat de l’Hambletonian, du Peter Haughton Memorial, du Kentucky Futurity. De cette union naquit une femelle baie, Tast Of Bourbon 1’11’’ excellente lauréate à Enghien des Prix de Rome et Henri Cravoisier, deux Groupes III. Par la suite, Qualita Bourbon donna naissance à huit autres produits, dont les bons Calita Wood et Fabulous Wood. Son dernier rejeton en date a vu le jour en 2020. Il se nomme Karnac Wood et a déjà montré de solides moyens.

Classe montrée dès son jeune âge, grande origine, courage, bonne allure, vitesse, carrière de course courte et peu chargée (31 courses) sont autant d’atouts pouvant permettre à Qualita Bourbon de réussir une belle carrière de poulinière. Même si en matière d’hérédité, le facteur chance reste important. Mais en contant l’histoire de Qualita Bourbon, on se rend compte aussi combien les hommes (éleveur, entraîneur, drivers, lads) l’ayant accompagnée depuis sa naissance furent importants. Car Jean-Pierre Dubois, dira Yann Potel "s’est en occupé comme jamais je ne l’ai vu faire avec un autre cheval. Parfois il peut être dur avec les chevaux mais avec elle, il fut d’une patience d’ange. Jamais il ne s’est énervé. Pourtant, elle avait un caractère spécial. Il m’avait d’ailleurs dit ’’surtout tu lui laisses toujours son caractère dominant’’. En course, Qualita a ainsi été incroyable jusqu’à la fin." Elle fut la « reine de coeur » de Jean-Pierre Dubois. Celle dont il a souvent affirmé : "en course quand on la commandait elle se mettait à plat ventre !" Au propre comme au figuré pourrait-on dire en conclusion, tant elle s’aplatissait littéralement à pleine vitesse, ce qui accentuait son côté félin. La voir en action était alors un vrai régal.

La course du Critérium Continental 2008 remporté par Qualita Bourbon

A lire aussi