En l’espace de trois décennies, il a construit un élevage impressionnant. Les "Bello" et "Bella" de Rémi Boucret sont partout et brillent avec une rare constance. L’éleveur sarthois a accédé au podium national en 2020, à la troisième place, et n’a plus quitté cette position depuis. Il a aussi élargi ses horizons avec dorénavant une activité au galop, en plat et obstacle, pareillement siglée Bello et Bella. L’homme est discret et même méconnu au regard de l’empreinte de sa signature sur les courses. Il a accepté de se livrer et de notamment nous parler de ses aspirations. Passionnante rencontre.
Une forme de contradiction
Rémi Boucret a construit sa politique d’élevage sur la base de juments fortement américanisées (Enfilade, IT'S MY HOPE), à partir de critères de vitesse et précocité en quelque sorte, mais confie la plus importante part de son effectif à Jean-Paul Marmion. Or, ce dernier anime une politique d’exploitation basée sur la patience et les carrières longues, avec des concurrents tout juste découverts à 3 ans. L’éleveur reconnaît ici une forme de contradiction mais souligne : "L’avantage est que Jean-Paul Marmion exploite mes chevaux comme s’ils lui appartenaient. Il me les rend souvent avec une belle plus-value, notamment pour les juments. Avec lui, mon raisonnement rentre dans la logique du long terme. Et enfin, quel entraîneur est capable de prendre autant de poulains et pouliches d’une même génération tous et toutes en location ?"
Vous avez évoqué votre nécessité de plus grande sélectivité dans votre choix de juments pour l’élevage il y a quelques années. Où en êtes-vous ?
R.B.- Quand je disais cela, cela concernait la mise au haras de mes femelles. Car mon habitude de sélection, via le choix de familles maternelles avec de grandes références, existe depuis le début. Antérieurement, je gardais à l’élevage toutes mes femelles de ces familles. Maintenant, ce n’est plus vrai. D’abord, la règlementation pour l’intégration des juments a changé et ne permet plus de garder tout le monde. Ensuite, j’ai mis en place des critères plus stricts. Je garde désormais assez peu de juments non qualifiées. Je suis devenu plus sévère mais il y a quand même des exceptions.
Quelles sont ces exceptions ?
R.B.- Je garde par exemple toutes les descendantes d’Enfilade. Cela peut aussi être en association comme HISTORIA BELLA, une petite-fille d’Enfilade par BIRD PARKER que j’ai avec la famille Charrié. Il y en a d’autres.
Parlez-vous de vos croisements. Comment procédez-vous ?
R.B.- J’utilise dorénavant un logiciel de simulation pour visualiser les pedigrees issus de différents croisements. Pour tout vous dire, je fonctionne beaucoup à l’instinct et n’ai pas de règles pour les croisements, ni de recettes.
Les croisements occupent une grande part de votre vie ?
R.B.- Oui et cela me passionne énormément. D’autant plus que je m’intéresse aussi au galop et en particulier aux croisements en obstacle. En plat, on arrive vite à une question de moyens. Et comme ce n’est pas accessible, cela m’intéresse moins. Au trot, on peut aller plus facilement à la très bonne qualité des reproducteurs et avoir un espoir de faire naître des chevaux de Groupe.
Quid de la consanguinité, une des problématiques actuelles de l’élevage national et même international ?
R.B.- C’est un critère important. Je me dis que c’est à tenter parfois et qu’il ne faut pas se freiner par la consanguinité. Mon principal exemple est ma jument de base Enfilade, hyper consanguine, puisque son grand-père paternel, SPEEDY SOMOLLI (US), et sa grand-mère maternelle, Seascape Lobell, étaient propre frère et sœur. C’est l’équivalent d’un inbreeding rarissime 2 x 2. À mon avis, c’est ce qui a fait sa réussite. La consanguinité sur Speedy Somolli et sa propre sœur a apporté beaucoup de vitesse car Speedy Somolli était un phénomène de vitesse. Il y a quand même des risques et cela ne peut fonctionner à tous les coups. J’y fais donc attention, n’en abuse pas mais je dirais pour schématiser que j’en ai moins peur que d’autres éleveurs.
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Sur le sujet du livre généalogique du Trotteur Français, où en êtes-vous ? Plus de sang américain ou conservation en l’état de la race actuelle ?
R.B.- Le choix d’avoir dans mes premières juments du sang américain est assumé. Cela a été le cas pour Enfilade et It’s My Hope (COKTAIL JET), dont la mère est une fille de Speedy Crown. C’est parce qu’elles avaient beaucoup de sang américain que je les ai sélectionnées. Au moment où je commençais l’élevage, on voyait que le sang américain, notamment apporté par les étalons de Jean-Pierre Dubois et ses fils, avait un rôle énorme. Je me suis dit alors qu’il fallait partir avec des juments, quand on sait l’importance des mères en élevage, avec beaucoup de sang américain pour jouer simultanément sur les deux leviers déterminants : importance des mères et qualité de l’apport du sang américain. J’ai ensuite beaucoup joué avec des étalons plus franco-français. Il ne faut pas oublier les étalons français. Je vais à PRINCE GEDE tous les ans par exemple. Je suis d’ailleurs relativement réservé sur le sujet d'une ouverture importante de notre stud-book au sang américain dans l’avenir. Je pense qu’il ne faudra l’ouvrir que de manière très limitée. Il ne faudra pas introduire du sang américain moyen mais seulement le meilleur, à dose contenue. Ce qui veut dire que cette ouverture coûtera très cher.
Un véritable réseau autour de Rémi Boucret
Eleveur sans sol, ce qui en fait une singularité au niveau du top-10 des éleveurs français, Rémi Boucret travaille avec la famille Charrié, installée dans la Sarthe, premier dépositaire de son effectif d’élevage. Fanny Launey, dans la Manche, à Saint-Patrice-de-Claids, a aussi la charge d’une part de l’effectif, tout comme Marion Richard, dans la Sarthe. Elise Drouet, toujours dans la Sarthe, reçoit une partie importante de l’effectif du galop. Christian Martin, installé dans le Sud-Ouest, reçoit aussi des juments. Il joue aussi un rôle important dans la région pour la gestion de l’effectif de Rémi Boucret. Au total, Rémi Boucret chiffre à cinq ou six, les haras où sont déposées ses juments avec parmi elles, une douzaine de galopeuses, plat et obstacle confondus.
Malgré vos démarches de sélectivité dont nous parlions en début d’entretien, vous n’avez jamais eu autant de naissances que ces deux dernières années. Où en êtes-vous sur votre effectif ?
R.B.- Ce n’est pas facile de réduire… J’essaie de maintenir maintenant mon effectif et de ne plus l’augmenter. Je ne fais pas le compte de mes chevaux car, comme je suis sensible du cœur, je pourrais avoir une crise cardiaque (rires)…
Vous êtes aussi vendeur sur le marché public, de manière épisodique. Sur quels critères vendez-vous ?
R.B.- C’est difficile pour moi de répondre à cette question. J’essaie tous les ans de sélectionner quelques yearlings que je passe en vente tout simplement pour des raisons budgétaires. Cela peut aussi me permettre de réduire mon effectif. Mais, en fait, je concède que je n’ai pas de règle sur les ventes publiques et les yearlings. Ce qui est sûr, c’est que j’ai du mal à me séparer de ce que je considère exceptionnel et n’ai jamais vendu de descendants d’Enfilade par exemple. Il m’arrive aussi de vendre à l’amiable. Mes ventes sont d’abord portées par des questions budgétaires et de maîtrise de mon effectif.
Budgétairement parlant, comment votre centre de dépenses et de profit qu'est l’élevage se porte t-il ?
R.B.- Mon activité d’élevage est aujourd’hui équilibrée et même positive d’un point de vue comptable. C’est le résultat de mes résultats réguliers. C'est aussi ce que je considère être une obligation depuis que j’ai arrêté mon activité professionnelle de pharmacien en 2017. Cela n’aurait pas été gérable autrement. C’est aussi pour cela que ma variable d’ajustement est le commerce.
Comment vous projetez-vous dorénavant sur la question de votre effectif ?
R.B.- J’ai 67 ans et c’est vrai que je pense à réduire. Et ma femme y pense encore trois fois plus que moi (rires). J’ai deux filles mais qui ne pourront pas prendre la suite. J’ai commencé à intéresser mes petits-enfants de 7 et 9 ans aux courses. Mon petit-fils de 7 ans montre d'ailleurs des signes de curiosité et j'en suis très heureux. Dans l’idée, j’aimerais qu’il y ait une suite à ce que j’ai fait en élevage mais, assez rapidement, il va falloir d’abord réduire mon effectif. Ce que j’ai à l’esprit, c’est de passer à terme à une petite dizaine de juments. C’est une taille d'effectif que je pourrai gérer très longtemps, jusqu’à la fin si j’ose dire.
Et quel rêve d’éleveur vous habite encore ?
R.B.- Ce qui serait sympa, ce serait de courir le Prix d’Amérique. Le gagner serait beaucoup demander mais déjà le courir serait bien. On a failli le courir avec TALICIA BELLA. Un autre rêve serait de gagner un Critérium. Ce sont finalement des rêves de classicisme pour résumer. J’ai encore un peu de temps mais pas tant que cela…
L’histoire d’Enfilade
En 2019, Rémi Boucret avait détaillé dans une interview accordée à Trot Infos et relayée sur letrot.com le cheminement qui l’avait conduit à acheter Enfilade (REVE D'UDON), qui allait devenir sa plus grande jument souche.
"Deux principes font, je pense, l’unanimité parmi les éleveurs de trotteurs aujourd’hui : d’une part, la poulinière joue un plus grand rôle, dans le croisement, que l’étalon et, d’autre part, l’apport de sang américain a eu un poids considérable dans l’amélioration de la race du trotteur français. En m’appuyant sur ces deux idées, j’ai cherché quelles étaient, en France, les juments possédant plus de 75 % de sang américain. Il n’y en avait que trois, dont deux étaient la propriété de Jean-Etienne Dubois. L’autre était Enfilade. Celle-ci présentait un profil d’autant plus intéressant qu’elle appartenait à la famille maternelle de Speedy Somolli et qu’elle était inbred sur ce dernier et sur sa propre sœur, par Speedy Crown et Somolli, Seascape Lobell (2x2). Ma chance a été de pouvoir acheter Enfilade, alors que son fils, appelé à devenir célèbre, Offshore Dream, n’avait que 2 ans et n’était pas encore qualifié. Quand on a découvert le potentiel d’OFFSHORE DREAM, j’ai pensé qu’il fallait trouver, pour Enfilade, un étalon ayant le même profil que Rêve d’Udon, le père du double lauréat du Prix d’Amérique. C’est dans cet esprit que j’ai choisi Jag de Bellouet, dont les capacités de géniteur étaient, pourtant, sous-estimées à l’époque. Rêve d’Udon était un cheval dur et de grande taille, doué de bonne heure sous la selle, puis progressant continuellement à l’attelage. On retrouve ces qualités en Jag de Bellouet, parfaitement complémentaires de celles d’Enfilade, qui confère naturellement la vitesse. En outre, le croisement entre le sang de Bonefish, arrière-grand-père de Jag de Bellouet, et celui de Speedy Somolli a largement fait ses preuves aux Etats-Unis. Le fruit de cette union a été Tornado Bello, qui m’a procuré de nombreuses joies…"