Les élections socioprofessionnelles de la Société d'Encouragement à l'Elevage du Trotteur Français (SETF) se clôtureront mardi 31 octobre à 14 heures. Ils sont 51 candidats dans les cinq collèges nationaux et 221 candidats dans ces mêmes cinq collèges déclinés dans chaque fédération régionale. Parmi eux, quatre ont fait acte de candidature à la présidence de la SETF. Nous leur avons donné la parole pour qu'ils présentent leur projet et développent en quelque sorte leur programme. Troisième* entretien avec Caroline Sionneau.
LE MODÈLE DE LA SETF
Quel modèle structurel prônez-vous pour la SETF ?
Je reviens sur les fondamentaux de la SETF, laquelle est définie avec une mission de service public qui trouve son origine dans la loi de 1891, amendée depuis par différents décrets. Le rôle et le modèle de la SETF sont donc décrits par la loi. Le danger serait que nous nous éloignions de ce modèle. La SETF a été créée parce qu’il existe des socioprofessionnels et doit être au service de tous ses membres. Et j’ajouterai : et non l’inverse. La mission de service public précise que "la SETF est en charge d’organiser l’élevage et les compétitions au service de tous les acteurs. En élaborant le programme des courses et les conditions générales, elle joue le rôle de chef d’orchestre. Le programme construit à long terme la race, à moyen terme les effectifs et de ce fait, la SETF guide les acteurs dans leur façon d’exercer leurs métiers." Ce qu’on oublie, c’est que la politique de nos encouragements, qui est le socle qui nous constitue, est exempte de l’Etat français, exempte de toute loi européenne, exempte de la loi du marché. C’est la SETF qui fixe le montant des encouragements et sa répartition. C’est un postulat très important car j’entends de plus en plus dire aujourd’hui que des orientations sont inévitables car elles résultent de la mondialisation, de la libéralisation, de la loi du marché ou des lois européennes. On ne peut pas dire ça. On a le pouvoir d’exercer seuls, de fixer le niveau et la répartition des encouragements.
Quel positionnement du trot imaginez-vous au sein de la filière course ?
Je vois le trot en moteur de la filière. J’ai un programme de réforme précis dans lequel le trot sera moteur. Notre plan de réforme n’est pas une fusion avec le galop mais la mutualisation des services communs. C’est de là qu’on trouvera les sources d’économie.
Comment concevez-vous le fonctionnement SETF/France Galop/PMU ?
On conserve la SETF et France Galop dans leur mission respective de service public et on repositionne le PMU comme une filiale dans sa fonction de commercialisation. On fusionne toutes les fonctions de support qui se répliquent aujourd’hui comme les trois fonctions marketing et communication les trois fonctions financières par exemple. Mon plan de réforme porte la création d’une "entité de tête commune", au dessus des trois entités actuelles, pour avoir une unique direction. Ce plan de réforme est associé avec l’Etat et prévoit de travailler avec les fournisseurs et les syndicats. L’Etat serait pleinement acteur avec une direction unique nommée par lui. Cette société faitière permettrait de ne plus jouer les uns contre les autres. Aujourd’hui, c’est ce qu’on a avec l’organisation tripartite. On a trois voix, trois directions, chacun y va de son côté. Les trois entités créent en quelque sorte une cacophonie.
Quel rôle pour le PMU ? Qu’attendez-vous du PMU dans votre modèle ?
Le PMU a été créé pour prendre la prise de paris dans le cadre d’un monopole. Aujourd’hui, je suis inquiète quand j’entends le PMU dire : "On va passer du pari hippique au jeu hippique". Le PMU est le Pari Mutuel Urbain, la FDJ, la Française des Jeux. Qu’est ce qu’il y a derrière cette déclaration du PMU ? J’attends des réponses. On attend du PMU qu’il fasse du pari hippique. Qu’on revienne à nos bases et fondamentaux. Est-ce qu’on pourrait parler des parieurs ? Faisons notre travail d’organisme de collecteur de paris dans le cadre de la mutualisation qui nous lie au monopole. L’écueil est toujours de regarder le voisin, la FDJ, et d’envier ses platebandes. Mais ce n’est pas le même modèle ! Les mots clés sont parieur et mutualisation. Avant même de parler de recrutement de nouveaux clients, il faut d’abord se poser la question de savoir pourquoi on en a perdu autant ? Par exemple, pourquoi ne développe-t-on pas SmarTurf sur les hippodromes ? Aujourd’hui, les jeunes en particulier ne vont pas faire la queue au guichet. Ils font tout par leur téléphone. Ils peuvent le faire avec SmarTurf mais qu’on a très peu développé. Je ne comprends pas qu’on n’utilise pas mieux le téléphone portable. C’est aberrant que cela ne soit pas exploité sur nos 230 hippodromes. Quant à la recherche de nouveaux clients, on a essayé de le faire pendant dix ans avec les paris sportifs et le poker. Cela nous a coûté 140 millions d’euros. Je rappelle que la SETF est organisme collecteur de paris selon la loi du 2 juin 1891 et le résultat net du PMU est dédié à la filière. Cela veut dire 60.000 emplois directs et indirects, développement de la ruralité, maillage du territoire et même formation.
FORMATION/ EMPLOI
Préambule et constat : la filière est confrontée à un problème sur les sujets de la formation et de l’emploi. Tous les socioprofessionnels font face à des difficultés dans le recrutement.
D’où vient le problème ?
La formation, c’est un budget et, en 2020, c’est le premier budget qu’on a coupé. Le fait que le nombre de jeunes qui sortent de l’école se réduit année après année est un très mauvais signal. On est voué à mourir dans la mesure où il s’agit de la construction de notre avenir. C’est bien aussi pour cela que la formation est dans notre mission de service public. Ce que je constate, c’est qu’on a réduit la taille de la filière. Economiquement, la filière s’est appauvrie et c’est plus difficile de conserver des salariés ou de rester attractif auprès des jeunes. La filière a perdu en capacité financière. Il y a un lien direct avec la situation sur la formation.
Quelles sont vos solutions pour y remédier ?
Des actions existent. Pourquoi ne pas avoir plus de visibilité sur les salons professionnels, avec un stand sur le Salon de l’Agriculture par exemple, ou les salons sur l’emploi pour les étudiants ? Des choses sont actuellement mises en place par l’AFASEC et je m’en félicite. Il faut que les jeunes puissent se projeter dans un futur où ils trouvent une réelle reconnaissance. Pourquoi ne pas mieux mettre en avant dans les médias les jeunes comme les lads des champions par exemple ? Je vois aussi une volonté de réécrire des conventions collectives qu’on puisse appliquer à trois disciplines du cheval (trot, galop et centre équestres). C’est un travail énorme et de longue haleine sur lequel s’implique le SEDJ, avec son président Stéphane Meunier. Il faut s’en féliciter.
Quelle place occupent les courses dans la société (notion d’attractivité) ?
Elle est souvent marginale ou marginalisée. Elle ne peut se faire que grâce au maillage du territoire, grâce aux 230 hippodromes, grâce à cette diversité que sont nos hippodromes (en herbe, en sable, corde à droite, à gauche, etc.). Les hippodromes sont les premiers vecteurs. C’est avec eux, qu’un jour, un quidam va aller aux courses lors d’un week-end en famille par exemple. C’est la vocation et la réalité des champs de courses : de s’insérer dans le tissu social. Ce sont les hippodromes qui permettent au grand public d’avoir connaissance et conscience de la place des courses hippiques sur le territoire.
NOTRE LIGNE ÉDITORIALE ET LA MÉTHODE RETENUE
Un éclairage s'impose à notre séquence "présidentielle". Notre ligne éditoriale est construite sur l'équité des espaces de paroles donnés à chaque candidat(e). Une exigence d'équité de volume et de forme que nous avons concrétisée dans un questionnaire identique soumis aux quatre candidat(e)s. Toujours dans une logique d'équité, l'ordre de passage de nos grands entretiens avec les candidat(e)s a été tiré au sort.
Nous leur avons soumis une quinzaine de questions déclinées dans cinq thèmes qui permettent d'aborder les grandes problématiques qui touchent à la filière trot. Une carte blanche leur est aussi proposée pour aborder le sujet de leur choix. Les thématiques :
1️⃣. L'élevage
2️⃣. La SETF (modèle et rôle)
3️⃣. Formation / Emploi
4️⃣. Bien-être équin et dopage
5️⃣. Votre vision d'avenir
Sur ce point, il s'agira de nous projeter en 2030 en nous décrivant le Prix d'Amérique tel que vous l'imaginez (partants, allocations, lieu, conditions, etc.)
Carte blanche : un thème/sujet sur lequel chaque candidat(e) souhaite s'exprimer en complément
BIEN-ÊTRE ET DOPAGE
Bien-être équin et du cheval de course. Peut-on parler de contrainte ou opportunité ?
Le bien-être est de mise au sein de notre métier. Il n’y a pas de performances sportives de chevaux sans bien-être. Cette notion est au cœur de notre métier et les socioprofessionnels peuvent s'étonner qu'on leur dise "Le bien-être, vous en pensez quoi ?" sachant qu'ils le font tous les jours. Oui, il faut le dire : les professionnels prodiguent des soins quotidiens à leurs chevaux pour le bien-être. Mais, maintenant, il faut qu’on l'explique collectivement - et cela renvoie à la question précédente sur la place du cheval dans notre société. Il faut qu'on explique toute la difficulté et tout le travail produit en amont pour amener un cheval à performer. Et ce travail consiste à apporter du bien-être. J’ai l’impression qu’on commence à communiquer sur le sujet avec le RaceAndCare notamment. Tout le travail en amont d’une course pourrait se résumer en bien-être finalement. Ce qui est contraire au bien-être à mes yeux est l’hyper sélectivité. Nous devons être vigilants car nous avons un manque de partants due à cette hyper sélection et nous avons été confrontés à la sortie de chevaux de la filière lors des dernières années. Là, on est contraire au bien-être. La diminution de la taille de notre modèle, résultante des dernières stratégie et politique, est contraire au bien-être. L’hyper sélection va de paire avec la concentration. La baisse du nombre d’éleveurs et d’entraîneurs représente une perte de nos forces vives, de notre vitalité. C’est une situation qui est contraire au bien-être. On n’a pas vocation à éliminer des chevaux. On a vocation à les élever, les entraîner et les présenter à des compétitions sur des hippodromes pour divertir la société et alimenter toute une filière.
Fait-on assez et / ou assez bien dans la lutte contre le dopage ?
J’y reviens encore mais la mission du laboratoire des courses hippiques est décrite dans la mission de service public de 1891. La loi dit que le laboratoire des courses hippiques est confié à la gestion des sociétés mères. Mon programme est de rendre indépendant ce laboratoire. Une des premières choses à faire est donc de modifier le décret. Ce qui m’importe, c’est la ressource, c'est-à-dire les parieurs. Or, nous savons que nous avons perdu des parieurs qui entretiennent une défiance et remettent en cause la régularité des courses. Une des manières de rassurer les parieurs et de nombreux socioprofessionnels, c’est de rendre indépendant ce laboratoire.
Qui doit être le garant des règles ?
Il n’y a que l’Etat qui peut être garant. Que voulez-vous que la FNCH réponde aux critiques dès lors qu’elle ne fait qu’appliquer la loi ? La question sous-jacente à poser à l’Etat est : "Est-ce que notre mission de service public vous importe encore ?" L’indépendance du laboratoire de lutte anti dopage est liée aux négociations à entreprendre avec l’Etat. Il s’agit en fait de remettre l’Etat au cœur de sa mission de service public.
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VOTRE VISION D’AVENIR
Décrivez-nous le Prix d’Amérique 2030 ou 2040 : Quelle est votre vision de cette course ?
Avant d’entrer dans un scénario projectif, je tiens à préciser que ma vision d’avenir est d’essayer de redimensionner et de faire rayonner la filière. En 2030, le Prix d’Amérique regroupe 18 chevaux d’âge connus et reconnus, idéalement avec des partants qui viennent de toutes les régions. Et il se courra à Vincennes, bien évidemment. Vous le voyez ailleurs qu’à Vincennes, vous ? On est dans l’écrin de Vincennes, avec sa piste unique. Elle est tellement unique, qu’à mon sens, la reconstruire ailleurs serait voué à l’échec. Et c’est formidable. Vous ne pouvez pas refaire une piste comme Vincennes et c’est une chance. On ne peut pas rattraper toutes les années d’intempéries qui ont formé Vincennes, on ne peut reproduire son histoire géologique. Même avec un budget no limit, on n’aura jamais la même piste. Cette piste est unique et est en chacun des socioprofessionnels. Elle nous fait vibrer. C’est un atout incroyable.
En fait, avant de se lancer dans une vision de l’avenir, pourrions-nous déjà exploiter nos ressources ? On les sous-exploite et il y a trop de choses qu’on n’applique pas.
Sur ce sujet, il y a celui en lien avec la régularité des courses par exemple. Elle est souvent remise en cause par les parieurs mais on a déjà un code qui est là. N’allons pas dans des usines à gaz qui consistent à vouloir créer par un travail de commission des réponses à des cas particuliers. On a déjà tout ça dans notre code. Pourrait-on déjà essayer d’appliquer le code ?
VOTRE VISION D’AVENIR (suite)
Revenons encore à Vincennes pour parler avenir. La réforme que je porte, qui génère des économies, aura les moyens de supporter les coûts d’exploitation de Vincennes, y compris dans le cadre du nouveau cahier des charges imposé par la mairie de Paris. S’il faut faire des travaux et mettre les tribunes par terre pour répondre à la maire de Paris, tant qu’on conserve la piste, pour que les parisiens aient plus accès au site, cela ne me pose pas de problème. Quant à avoir laissé le dossier du renouvellement du bail sur la table alors qu’on connait la date d’échéance depuis toujours est un scandale. Que cela tombe pendant le renouvellement de l’équipe dirigeante de notre institution est un scandale. Il fallait au minima demander un délai de report sachant qu’on est très en retard. Il ne s’est rien passé sur le sujet lors des quatre dernières années. Il y avait deux choses à faire. Soit c’était un dossier porté par la mandature en place et le dossier était clos après le travail d’une commission, comme cela a été fait sur la modification des statuts par exemple. Soit on dit qu’il faut différer pour que ce dossier soit géré par la nouvelle mandature.
CARTE BLANCHE sur un sujet de votre choix
(dans le respect d’une non dénonciation des autres candidats)
Je veux revenir au pouls de la filière et ce que je porte dans mon projet. Premièrement, c’est un attachement à l’institution du trot. J’ai l’impression d’en faire plus que partie. C’est étonnant car je n’en suis pas issue. J’ai épousé notre métier. Cette institution est notre institution. Je voudrais qu’on remette en place la relation de l’institution avec ses membres. On est confrontés aujourd’hui à beaucoup de crainte, une peur généralisée de parler, et même de se présenter par peur des représailles. Je veux l’institution au service des acteurs. Deuxième chose, ce qui m’effraie, c’est le déclin général de la filière, l’appauvrissement des socioprofessionnels et la perte de chevaux. On a réduit cette filière en quatre ans dans toutes ses dimensions : éleveurs, propriétaires, entraîneurs. Et on nous explique qu’on va maintenant se partager le gâteau en étant moins nombreux, ce qui sera mieux. Mais on se tire une balle dans le pied. Ce que je constate c’est qu’on n’a pas de marge de manœuvre, ni le PMU, ni les sociétés mères. Tous les budgets sont repartis à la hausse. La répartition de la valeur ajoutée du retour à la filière est toujours inlassablement le même : 38 % en prélèvements de l’Etat, 38 % en frais de fonctionnement des trois entités et 25 % pour les allocations. Si vous restez comme tel, il n’y a pas de marge de manœuvre. Pour finir, je pense que passer du pari au jeu hippique est ‘’la mort du petit cheval’’. La validation par l’Etat de l’achat de ZEturf par la FDJ est pour certains l’avenir. Pour moi, c’est aussi ‘’la mort du petit cheval’’. Je suis honnêtement très inquiète. Je le répète : on a réduit le modèle et la taille de la filière. Et dans cette logique là, je ne comprends pas qu’on n’ait pas adapté nos programmes et nos conditions générales pour limiter la casse dans nos effectifs. Quand on a baissé les allocations de 10 % en 2019, on n’a pas baissé de manière consécutive ni en 2019, en 2020 et les années suivantes. C’est pour cela qu’on a hyper sélectionné et provoqué la sortie de tant de chevaux. La suppression des requalifications en 2024 arrive un peu tard. J’alerte depuis 2019 sur ces points. Le socle de l’institution qui réside dans la politique des encouragements a été impacté de manière incroyable par la baisse de 10 % sur le nombre de socioprofessionnels et de partants. Dès 2020, il fallait a minima contracter un PGE (prêt garanti par l’Etat) pour maintenir les effectifs. Et maintenant on se demande comment on fait des partants. Les perspectives ne sont pas réjouissantes. En 2024 et 2025, le PMU va bricoler sur l’export. En 2026, on ne sait pas bien comment faire avec les effectifs du trot. Cette chute du nombre de partants a été très, très rapide. Techniquement, l’institution a une réponse à apporter en tant que chef d’orchestre du programme et des conditions générales. Nous avons des atouts, une richesse et une incroyable spécificité. On a tellement de choses à exploiter qu’on n’exploite pas aujourd’hui en rêvant trop souvent sur le voisin, la FDJ. Comparaison n’est pas raison. On peut faire beaucoup mieux avec tous nos atouts et notre modèle unique.