MT image

Reine du Corta, l'allure d'une reine | LETROT
Série de l'Eté - Les grands stylistes

Reine du Corta, l'allure d'une reine

16/08/2024 - PORTRAITS - SETF - Jacques Pauc
Nous vous proposons pendant tout l'été de retrouver les grands champions qui ont construit la légende du Trot. Chaque vendredi, nous publions un article sur un cheval d'exception. Nous continuons le chapitre des grands stylistes avec Reine du Corta, à la veille de la course qui porte son nom, à Paris-Vincennes.
Reine du Corta © DR - Reine du Corta
Reine du Corta ©DR - Reine du Corta

Victoire éblouissante dans le Prix de Cornulier 1990

Le meilleur allait arriver l’hiver suivant avec sa victoire éblouissante dans le Prix de Cornulier 1990 (en 1’18’’8-2650 m-GP). Invaincue du meeting au monté (et venant d’abaisser le record de France du trot monté à 1’15’’9-2325m-GP dans le Prix du Calvados) elle paraissait imbattable ce jour-là et sa démonstration fut à la hauteur de son talent. Trottant dans un style parfait, Reine du Corta démarra en effet dans la montée et dès lors on ne vit plus qu’elle. Elle gagna ralentie par Michel Lenoir, Quatrieme Tete venant prendre la deuxième place devant Stirwen. Reine du Corta avait 7 ans et était alors à son meilleur niveau. Michel Lenoir raconte : « C’était le jour J » alors j’avais été un peu plus « chaud» que d’habitude, j’avais fait le trou avant le dernier tournant. Elle avait dominé le lot. Reine du Corta était une jument dure avec beaucoup d’influx, courageuse, qui donnait tout. Elle ne baissait pas les armes. Elle avait tout, la vitesse, la tenue et le mental. »

Alain Roussel dira : « Cette victoire dans le ’’Cornulier’’ fut d’abord un grand soulagement et aussi une grande joie bien sûr. Et cet hiver-là, je suis certain aussi qu’elle aurait pu terminer dans les trois premiers du Prix d’Amérique tellement elle était bien. Mais je m’étais fait bousculer peu après le départ. »

Après le meeting, Alain Roussel remporta d’ailleurs à l’attelage le Prix de la Société Sportive d’Encouragement (1’18’’4-3500 mètres), rendant 50 mètres à Quito Des Bordes et Steed James, puis la jument termina deuxième près de Rêve d’Udon dans le Prix de la Société d’Encouragement en mai. Ensuite, dira son entraineur : « J’ai commis l’erreur de la présenter derrière l’autostart à Caen dans le Prix des Ducs de Normandie. Ce jour- là elle s’est tendue, est partie fâchée, plein galop et plus jamais elle n’a voulu repartir correctement attelé ! » 

Et l’hiver suivant la championne devait rater son Prix de Cornulier (5ème de Queila Gede) après avoir remporté le Prix de l’Ile de France une troisième fois. « Elle est rentrée de sa course du ’’Cornulier ’’ avec un peu de sang au bout du nez. Le Dr Sorel m’avait toujours dit que c’était du côté pulmonaire qu’elle avait une fragilité. Dès qu’elle toussait on avait du mal à la soigner » signale Alain Roussel. Mais Reine du Corta se réhabilitera dans la foulée, rendant facilement 25 mètres à Seilhac dans le Prix du Calvados. Ce fut sa dernière victoire. L’année suivante, à 9 ans, on la retrouva encore à la troisième place des Prix de l’Ile-de-France et du Calvados après avoir été disqualifiée dans le Prix de Cornulier. Puis elle entra au haras.

Reine du corta avait ses habitudes

Reine du Corta, comme pas mal de championnes ayant beaucoup couru et entrées tard au haras, devait y décevoir. Alain Roussel entraîna ses premiers rejetons et commente : « le premier, Favori Du Corta (mâle de Workaholic) trotta 1’14’’, gagnant à Paris. C’était un beau cheval, racé, qui allait un peu au genou et qu’il fallait courir caché. Heritier Du Corta 1’15’’ (mâle d’Ultra Ducal) avait de la qualité mais était compliqué et fragile. On ne pouvait pas le travailler beaucoup. J’ai eu aussi Imperial Du Corta (mâle de Workaholic), qui n’était pas bon et Rhapsodie Du Corta 1’17’’ (femelle de Cygnus D'odyssee) une petite jument avec une fesse démusclée qui s’est placée en province. Elle ressemblait à sa mère et avait une allure économique. » 

Pierre Morand chez qui Reine du Corta fit sa carrière de poulinière dira, lui : « Elle a eu pratiquement un poulain par an. Comme poulinière elle avait ses têtes, il ne lui manquait que la parole ! Moi, je ne pouvais pas l’attraper alors que mon épouse en faisait ce qu’elle voulait. Après Favori du Corta, Héritier du Corta et Impérial du Corta elle a eu Junon Du Corta (femelle de Coktail Jet), pas bonne, mais devenue mère de Saphira De Fael 1’14’’(m), gagnante à Paris, Marquise Du Corta (femelle de Viking's Way) n’ayant pas couru, que j’ai gardé comme mère (elle a donné la semi-classique Troika Du Corta 1’12’’(m) 1ere Prix Ali Hawas), Noblesse Du Corta (femelle de Buvetier D'aunou) que j’ai fait acheter à mon ami Jean-Pierre Barjon et qui produit bien ( Un Dos Tres 1’15’’(m) et Victime De L'amour 1’16’’ (m) gagnants à Vincennes), Osiris Du Corta (mâle de Buvetier d’Aunou), un cheval lourd, et plus tard Sultane Du Corta (Joyau D'amour), Tornade Du Corta (Meaulnes Du Corta) qui ressemblait à « Reine », ces cinq-là n’ayant pas couru, et Univers Du Corta 1’18’’ (And Arifant) gagnant en province, né estropié devant. Reine du Corta est morte deux mois après la naissance de celui-ci, en 2008. »

Alain Roussel raconte encore au sujet de la championne : « C’était une jument d’habitudes qui préférait rester dans son box que d’aller au paddock. Quand je l’amenais à la campagne, elle s’ennuyait, restant à la barrière dans son paddock. Oui elle avait ses habitudes, comme de faire toujours le même parcours à la promenade à Grosbois. Elle adorait Grosbois. Et elle avait une santé de fer, récupérant bien, une qualité de peau et de corne exceptionnelle. Elle n’a jamais eu une seime bien qu’ayant des fers en aluminiums toute l’année. Et puis elle avait aussi un tempérament de mâle. Au box elle aurait bien mordu. En fin de compte j’ai passé mon temps à lui apprendre à aller doucement, à la travailler seule, jamais avec un cheval dans son dos. La réussite d’un cheval, c’est un enchaînement de beaucoup de choses. Je pense que Reine du Corta convenait bien à mon système d’entraînement et à mon tempérament calme. Je ne me suis jamais fâché avec elle car elle aurait pu mal tourner. Elle avait un sacré caractère en effet. Son lad Jean-Noël Denis fut aussi l’homme de la situation. Il était d’un calme imperturbable : quand elle se mettait à tirer, il ne fallait surtout pas chercher à la débraquer, lui dire ’’tu vas me lâcher le mors’’ car, contrariée, elle tirait encore plus ! Il ne fallait pas bouger à la promenade, avoir les rênes dans les poignets. Et on faisait aussi toujours les heats de la même façon. Il fallait la travailler et la sortir ’’à la Georges Dreux’’, façon métronome. »

Cette sémillante alezane qui abaissa trois fois le record de France de vitesse au trot monté 1’16’’6-1’16’’4 et 1’15’’9 sur l’ancienne piste de Vincennes (moins rapide d’au moins trois secondes que la nouvelle) laissa en tout cas un souvenir inoubliable à ceux l’ayant vue courir. 

Les grands professionnels Léopold Verroken (« Elle fut la reine de plusieurs générations de chevaux montés. C’était une belle jument qui m’a séduit par son style ») et Ali Hawas (« Elle fut la meilleure jument montée que j’ai connue. C’était la classe pure, le style, et elle était dure en plus, complète. Plus tard d’autres ont battu ses records, mais ils n’ont rien à voir avec elle. ») ne tarissaient pas d’éloges à son sujet. Deux beaux hommages pour la « Reine ».


A lire aussi