Une victoire dans le Prix de Cornulier (Gr.1) n'est jamais une victoire comme les autres. Mais celle d'Esperanza Idole est totalement incroyable. Dans l'avant-course d'abord avec une jument qui a failli ne jamais arriver à Vincennes après un accident en début de voyage. Tout aurait pu s'arrêter à 7 heures du matin. Quant à son partenaire et indissociable héros du jour, Jean-Yann Ricart, lui aussi aurait pu ne pas prendre part à la course, la faute à une sévère chute à l'entraînement il y a un peu plus d'une semaine. Incroyable victoire encore dans le déroulement de course. La jument de Noël Langlois est venue arracher la gloire dans les derniers mètres, centimètres même, et ce, après que son jockey a actionné plusieurs fois les œillères basculantes de sa partenaire, à plusieurs endroits du parcours.
Le sacre d'une courageuse
Tant son jockey, Jean-Yann Ricart, que son entraîneur Noël Langlois évoque la qualité de courage pour parler d'Esperanza Idole. Le cavalier nous dit ainsi : "Je la sentais sur des ressorts aujourd’hui. Elle était d’une souplesse exemplaire. Elle était parfaite au canter. On a été à fond tout le temps, je n’ai jamais tiré sur les rênes. C’est une jument exceptionnelle qui sait mettre son cœur sur la piste à la fin. Elle est incroyablement courageuse." Quant à l'entraîneur, il avait dit d'Esperanza Idole après sa précédente victoire dans le Prix Yvonnick Bodin (Gr.1), le 30 décembre : "Comme sa mère, Fan Idole, elle ne lâche rien à la fin. C'est une battante."
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Jean-Yann Ricart blessé il y a dix jours
L'angoisse des dernières heures avant la course, et l'accident vécu par la gagnante pour rejoindre Vincennes, n'a pas épargné le jockey de 29 ans qui nous apprend : "Je suis chanceux. C’est incroyable. Une jument au top, un entraîneur au top. Comme je n’étais pas au courant en direct pour l’accident, cela me mettait un peu de pression car des gens m’appelaient pour m’en parler alors que j’étais sur la route. Je n’osais pas appeler Noël car, s’il y avait un problème, je ne voulais pas lui mettre un peu plus de pression. Au bout d’un moment, il fallait se renseigner. Il m’a dit que tout allait bien et un quart d’heure après, ils étaient là."
Un jockey avec 15 points de suture !
On apprend encore que la jument n'est pas la seule à avoir connu un accident en amont de la course. Jean-Yann Ricart aussi, de manière un peu plus lointaine, il y a une dizaine de jours mais suffisamment sérieux pour générer lui aussi des inquiétudes. Il nous relate ces derniers événements : "La jument n’a failli pas venir et il y a une semaine et demie, je suis tombé à l’entraînement. J’ai eu quinze points de suture à la jambe. Je n’ai pas monté depuis quinze jours. L’histoire est incroyable. Il y a une semaine et demie, je ne savais pas si j’allais courir le Cornulier. J’ai serré les dents, j’en ai parlé à pas grand monde. J’ai fait du sport chez moi. Cela aurait pu être un mauvais jour pour moi aujourd’hui et c’est un jour exceptionnel. L’histoire est magnifique. Le boulot qu’ont réalisé Noël et son équipe est exceptionnel."
1'12''3 : un chrono respectable
Compte tenu des conditions (une piste bonne mais jugée encore tirante après sa phase de dégel du milieu de semaine), la réduction kilométrique du Prix de Cornulier 2024 d'1'12''3 est bonne. Ibiki de Houelle (Love You) a été le premier animateur (dusqualifié pour allures en plaine) avant que Hanna des Molles et Hirondelle du Rib ne se chargent ensuite d'assurer le train.
Jean-Yann Ricart ou la consécration d'un discret
Formé et longtemps au service de Jean-Michel Bazire, Jean-Yann Ricart y a notamment été le lad de Belina Josselyn (Love You). Il est désormais driver, jockey et prestataire de service. Il a remporté 22 courses l'an dernier et nous apprend : "J’ai eu des chevaux moins bons à monter après avoir quitté Jean-Michel Bazire mais j’ai quand même fait une année 2023 exceptionnelle. Le fait de voler de mes propres ailes m’a bien aidé aussi. Maintenant j’aspire à garder la forme et à continuer à faire des bonnes saisons." Jean-Michel Bazire ne pouvait pas ne pas réagir à un garçon, ancien gymnaste, qu'il a pris sous son aile avant de le voir s'émanciper. Il nous partage : "Je suis très heureux et content pour Jean-Yann. C’est un garçon qui a toujours été super sérieux. Ce n’est peut-être pas le meilleur jockey du peloton mais il se bat et est assidu. Il mérite cette grande victoire."
Les réactions des battus
■ Joël Hallais a pu croire à la victoire quand au début de la ligne d'arrivée, ses deux représentantes, Hirondelle du Rib et Ina du Rib, occupaient les deux premières places. Hirondelle sera finalement deuxième et Ina quatrième. Il nous a déclaré : "Je suis très heureux pour Hirondelle qui a été bien montée. Ina du Rib n’était pas à l’aise dans ses allures dès en partant. Le déferrage ne lui a pas été très utile aujourd’hui. Elle a toujours été sur la réserve et s’est retrouvée nez au vent à 800 mètres de l’arrivée. Ce n’est pas pour elle. On y a cru pourtant."
■ Paul Ploquin (Idéale du Chêne - 3e) : "La jument a été parfaite, moi moins. J’ai pris les mauvaises options dans la montée, derrière des chevaux qui n’avaient pas de gaz. Ensuite, j’ai réussi à la glisser à l’intérieur, en la faufilant le long du rail. En fait sa course n’a commencé qu’aux raquettes de départ. C’est seulement là qu’elle a pu s’exprimer. Elle a eu un finish énorme et évidemment c’est très bien."
■ Thierry Duvaldestin (Flamme du Goutier - 5e) : "Je suis satisfait de sa prestation. La jument a pu bénéficier d'une bonne course et ne s'écrase pas pour finir mais a conclu moins vite que les autres. On est fier d'elle. La question se pose pour la suite, entre le Prix d'Amérique et le Prix de l'Île-de-France. Cela dépendra aussi de sa récupération."
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Une petite revanche pour Fan Idole
Esperanza Idole a de qui tenir, avec pour mère une championne de la trempe de Fan Idole 1’09’’ (Le Ham), l’une des juments les plus remarquables vues en piste depuis un quart de siècle, gagnante de trente-sept courses et de plus de deux millions d’euros. Sous la férule de Richard-William Denéchère, Fan Idole, enfant du Sud-Ouest, remporta le Prix de France (Groupe 1), ainsi que deux Prix de l’Atlantique (Groupe 1). Elle brilla également à l’étranger, s’imposant notamment dans le Trot Mondial, à Montréal, à l’automne 2002, à l’âge de 9 ans. D’une exceptionnelle longévité, elle courut quatre-vingt-neuf fois, de 3 à 10 ans, là où sa fille en est à quatre-vingt-sept sorties, à 10 ans, au soir de son « Cornulier » victorieux. Telle mère, telle fille, donc, d’autant que Fan Idole conclut sa longue et dense carrière par un succès le 31 décembre de sa dixième année. La différence entre elles est que la fille est une jument montée, là où la mère était une compétitrice attelée, dont il faut rappeler la place de deuxième dans le Prix d’Amérique (Groupe 1), entre Varenne et Général du Pommeau, en 2001 ; une compétition qu’elle courut à plusieurs reprises, sans parvenir à la remporter, et, d’une certaine manière, la victoire d’Esperanza Idole dans l’équivalent monté du championnat attelé est une petite revanche pour elle.
Serge Laroche, son éleveur : "Je ne peux pas être plus satisfait !"
C’est à plus de cinq cents kilomètres de Vincennes, chez lui à Sousmoulins dans le département de la Charente-Maritime, que Serge Laroche, qui a co-élevé la gagnante du Prix de Cornulier 2024 avec son fils Frédéric, a assisté à la victoire d’Esperanza Idole. Invité avec son épouse à un déjeuner chez des amis, ils se sont éclipsés et sont retournés chez eux assister le temps de la course. "Sur le coup, j’ai eu du mal à y croire, concède cet ancien agent Renault qui élève par passion. Au fond de moi, j’espérais qu’elle pourrait prendre une place car je savais qu’elle était amenée au top par Noël Langlois et j’ai confiance en Jean-Yann Ricart qui a monté une course idéale. Gagner c’est extraordinaire ! Ça représente beaucoup de choses. On avait déjà eu énormément de chance avec Fan Idole, sa mère. Alors voir sa fille maintenant gagner le "Cornulier"... Je ne peux pas être plus satisfait ! Je vais bien dormir." Depuis l’arrivée, le téléphone de Serge Laroche ne cesse de sonner. "Mon fils et mes petits-fils m’ont aussitôt appelé. On va fêter ça tous ensemble la semaine prochaine. Bien sûr, on éprouve de la fierté", commente l’éleveur de 85 ans. S’il n’avait pas encore pu échanger avec Noël Langlois - "je n’ai pas osé le déranger car il devait être très occupé, surtout avec la journée qu’il a eue" -, Serge Laroche a déjà prévu de se rendre demain (lire lundi) en fin de matinée chez l’entraîneur dont l’établissement est situé à une petite dizaine de kilomètres. Avant cela, il se plonge dans ses souvenirs quand Esperanza Idole n’était encore qu’une pouliche : "Elle avait son petit caractère mais était gentille et facile dans l’ensemble". Depuis la disparition de Fan Idole en 2021, Serge Laroche éprouve un vide qu’Esperanza Idole pourra combler quand elle reviendra chez lui à l’issue de sa carrière : "Je n’ai plus de chevaux à la maison et il me manque quelque chose".
Thybaud Martinière, lad de la gagnante
Jeune, 16 ans, mais passionné depuis longtemps, le lad et accompagnateur de la gagnante s'appelle Thybaud Martinière. "Cela fait plusieurs années que je sors des chevaux chez Noël Langlois, nous apprend-t-il. Esperanza est une jument gentille, la meilleure de l’écurie et a droit à toutes nos attentions. Gagner le Cornulier, c’est le summum, c’est le graal. Je suis à fond dans mon métier. J’aime les chevaux tout simplement, j'aime les travailler. Pour une écurie comme nous, dans le Sud-Ouest, une victoire comme aujourd’hui, c’est énorme."