A l'approche du Meeting d'Hiver à Paris-Vincennes, le Prix d'Amérique Legend Race plane déjà dans tous les esprits. Nous vous proposons chaque vendredi de revivre la saga de grands champions de légende qui ont remporté le championnat du monde de Sulky. Queila Gédé est à l'honneur cette semaine.
L’AMéRIQUE AU BOUT DU CHEMIN
C’était parti. Queila Gédé (4ème du Prix d’Eté derrière Poroto) allait franchir les paliers en fin d’année 1988, s’imposant coup sur coup à Vincennes dans le Prix de Bretagne et la Clôture du GNT. A chaque fois, elle prit la tête assez vite et imposa son rythme, battant le champion Poroto (qui rendait 25 mètres), Québir de Chenu et Pussy Cat dans le Prix de Bretagne (1’17’’3 - 2 775 m. - GP), puis Quecastly et Quellou à poteau égal dans la Clôture du GNT (1’17 - 2 650 m. - GP). Jument de grande envergure, elle fit impression à chaque sortie, mais dut s’incliner nettement face au numéro un français, Ourasi (handicapé de 25 mètres), en janvier 1989 dans le Prix de Belgique (1’16’’7 contre 1’15’’8 - 2 650 m. - GP). Dès lors, si Queila Gédé paraissait capable de faire l’arrivée du Prix d’Amérique, une revanche sur Ourasi était improbable. Pourtant, Roger Baudron y croyait : « J’avais pu la mettre comme je voulais et elle était en pleine forme. Dans le Prix de Belgique, je n’avais pas fait une course dure. Certes, je partais en tête, mais j’avais perdu 20 mètres au départ et j’avais ramené Ourasi. Celui-ci avait gagné facilement, mais moi je n’avais pas bougé pour finir. Je m’étais dit : « C’est une jument de Prix d’Amérique et je peux le gagner ! ». Queila Gédé restait autoritaire et aimait dominer en allant devant. Si elle parvenait à prendre facilement la tête, il fallait aller la chercher ensuite. Le tout était de ne pas trop faire d’efforts pour arriver à prendre la tête ».
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Arriva donc le jour J où Ourasi paraissait sinon imbattable du moins proche de remporter son quatrième Prix d’Amérique. Or, Queila Gédé s’élança sur la bonne jambe, et dès les tribunes, elle menait la danse. Selon son habitude, Ourasi se tenait en dehors, non loin des animateurs, même s’il n’était pas des mieux partis. « J’avais pu prendre la tête sans faire d’efforts, note Roger Baudron, Joël Hallais ne m’ayant pas contré avec Quiton du Coral. Ensuite, j’étais facile en descendant et en plaine. Mais, en montant, j’étais si facile que je me suis dit : « Je suis trop facile, il faut que je durcisse la course, que je donne du rythme, sinon on peut se faire surprendre sur une pointe ». J’ai donc avancé, libérant presque ma jument, et c’est ce qui m’a permis d’aller au bout. Queila Gédé trottait la tête à gauche comme d’habitude, cela ne la dérangeait pas. Pour finir, on avait gagné sûrement. C’était un rêve de gosse qui se réalisait pour moi. Maintenant, vous savez, une course ne tient à rien. Si je m’étais fait contrer aux tribunes, peut-être qu’on n’aurait pas gagné ! »
A l’arrivée de ce Prix d’Amérique, les gens restèrent un instant silencieux dans les tribunes, car l’idole Ourasi avait dû se contenter de la troisième place, derrière Queila Gédé et Potin d’Amour et devant Poroto et Napoletano. Mais il serait injuste de ne pas souligner la classe et le mérite de Queila Gédé qui s’était imposée en championne, supportant le poids de la course (1’15’’6 - 2 700 m. - GP). Roger Baudron avait su, comme souvent, garder "quelque chose" pour finir et la jument avait été impériale. Roger Baudron dira encore de Queila Gédé : « La première fois que je l’avais vue chez moi, dans son box, j’avais été impressionné. C’était une grande jument avec du cadre, de la race, du « bec », la tête des Fandango, l’oeil vif. Queila Gédé en action jetait bien la jambe même si elle n’avait pas de grandes allures. Elle ne perdait pas de temps, rasant le tapis. Elle n’avait pas besoin de poids, courant avec des petits « alus » de 50 grammes. Elle était très autoritaire mais pas nerveuse comme on aurait pu le penser. Au box, elle était calme et mangeait bien. Ce n’était pas non plus spécialement une jument de vitesse, plutôt une jument de classe aimant dominer et imposer sa course ».
Après cette victoire dans le Prix d’Amérique, Roger Baudron avouera toutefois avoir fait des erreurs avec sa championne : « J’avais voulu aller à l’étranger ou la courir derrière l’autostart dans le Critérium de Vitesse à Cagnes-sur-Mer. Mais elle n’était pas faite pour cela. J’avais « bricolé » et déréglé ma jument. Je voulais m’imposer à la jument, alors qu’avant je m’arrangeais pour que ce soit elle qui paraisse décider de tout. Et comme j’avais battu Ourasi dans le Prix d’Amérique, j’avais voulu absolument le battre de nouveau dans le Prix de Belgique l’année suivante où il nous rendait 25 mètres. Même si j’avais gagné, j’avais fait une erreur, donnant une course très dure à ma jument ».
De fait, venant de prendre 8 ans, Queila Gédé avait en effet devancé Ourasi dans le Prix du Bourbonnais (1’16’’7 - 2 650 m. - GP contre 1’16’’- 2 675 m. - GP à son rival) avant de battre de peu le suédois Piper Cub et Pan de la Vaudère dans le Prix de Belgique (1’16’’6 - 2 650 m. - GP) où Ourasi rata complétement sa course, terminant non placé. Disqualifiée peu de temps après dans le Prix d’Amérique, remporté par Ourasi pour ses adieux, Queila Gédé dut se contenter de la deuxième place derrière Piper Cub dans le Prix de Paris en fin de meeting. Mais Roger Baudron dira : « Ce n’était plus la même jument. Le Prix de Paris sur 3 200 mètres, avec pas beaucoup de train, cela ne voulait pas dire grand-chose. Par la suite, j’ai pensé qu’elle ne pourrait plus gagner à l’attelage au plus haut niveau et j’ai alors plutôt visé le Prix de Cornulier ».
LE « CORNULIER » à 9 ANS
Queila Gédé s’entendait bien avec Michel Gougeon, et durant l’été 1990, on les vit remporter le Prix Camille Lepecq (rendant 25 mètres à Rabbin de Couronne) après avoir fini deuxièmes de Reine du Corta dans le Prix du Calvados en hiver. A 9 ans, elle gardait donc encore de belles ressources, et après une troisième place à distance de Reine du Corta et Quatrième Tête dans le Prix du Calvados, elle se présenta dans le Prix de Cornulier face à ses cadets, dont la championne de la famille Roussel installée grande favorite. Mais celle-ci rata sa course et Queila Gédé, vite en tête, réussit à s’imposer pratiquement de bout en bout (en 1’19’’3 - 2 650 m. - GP), précédant d’une longueur Seilhac devant Tiarko, Suva et Reine du Corta.
Roger Baudron avait donc atteint son deuxième grand objectif avec sa championne même s’il avait eu quelques sueurs froides, comme son jockey Michel Gougeon. Ce dernier raconte : « On venait d’être nettement battus et je n’y croyais pas trop. Je suis donc parti rênes longues dans le Cornulier. Or, Roger avait dû la réveiller au travail, car elle s’était mise à tirer et je ne pouvais plus rectifier mes rênes ensuite. Jusqu’en plaine, j’ai cru qu’elle allait éclater. Elle avait donné deux ou trois « coups de pattes » puis, en montant, je l’avais juste appuyée sur la main. Je ne faisais pas l’homme dessus, croyez-moi ! Je l’avais laissée faire. D’ailleurs, il fallait la laisser faire, c’est elle qui commandait. Tu ne pouvais pas bouger dessus. Elle avait le bout du nez à gauche, mais ne poussait pas. Elle avait un gros moteur et était spéciale. On était toujours un peu sur du « verglas » avec elle. Je l’avais menée attelée plusieurs fois aussi et elle n’avait jamais pu faire un parcours sans faute. Elle n’était peut-être pas compliquée pour Roger mais pour moi si (rires) ! ».
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Ensuite, Queila Gédé fit de nouveau une belle prestation dans le Prix d’Amérique, un Prix d’Amérique légendaire, car Tenor De Baune le gagna invaincu - pour sa trentième sortie ! - devant Rêve d’Udon, Ultra Ducal et Piper Cub. Queila Gédé finissait cinquième en 1’16’’2 (2 650 m. - GP) après avoir été départagée d’avec Piper Cub à l'aide de la photo-finish et « aurait pu être plus près avec un meilleur parcours », dixit Roger Baudron.
La carrière de la fille de Gazon n’allait cependant pas s’arrêter là. En 1992, à 10 ans, on la revit à Vincennes où elle prit la troisième place (1’17’’3 - 2 650 m. - GP) du Prix de Cornulier remporté en 1’16’’8 par Voici Du Niel (déferré des quatre pieds en la circonstance) devant Vivier De Montfort, Urf Du Vast, Uno Atout, Tout Bon, Ursulo De Crouay, etc. Enfin, dans son dernier Prix d’Amérique, Queila Gédé fit encore bonne figure, en se classant cinquième de Verdict Gede, Ultra Ducal, Queen L et Beseiged (1’17’’5 - 2 650 m. - GP contre 1’16’’6 au vainqueur).
Non placée dans les Prix de France et de Paris, Queila Gédé entra peu après au haras à l'issue une carrière de course de huit années.
« GD » (GEDE) COMME GEORGES DREUX
Comme poulinière, Queila Gédé 1’14’’ ne donna pas de classiques mais plusieurs bons vainqueurs, dont Hommage Gede 1’15’’(mâle de Workaholic), gagnant à Vincennes avec Jean-Claude Hallais, Jeila Gede 1’15’’(m)(1’18’’(a) (femelle de Sancho Panca), plusieurs fois lauréate à Vincennes avec Marie-Annick Dreux et Michel Lenoir, Matador Gede 1’15’’(m)1’16’’(a) (mâle de Podosis), gagnant à Vincennes avec Alain Laurent, et Quotient Gede 1’12’’(a) (mâle de Diamant Gede), bon gagnant à Paris et en province et plus de 428 000 € de gains, notamment chez Christophe Chalon.
Marie-Annick Dreux se souvient de certains : « Le premier produit de Queila Gédé était une femelle de Képi Vert nommée Féérie Gédé. Elle s’était qualifiée mais n’avait pas couru, car on voulait la rentrer directement à l’élevage. Malheureusement, très nerveuse et spéciale, elle a tué ses trois premiers poulains après leur naissance ! Sur le tard, elle s’est calmée, produisant la bonne Vamp Gede 1’13’’. Pour ma part, j’ai gagné avec Jeila Gédé qui était une jument de qualité avec laquelle j’escomptais disputer les classiques à 5 ans. Mais, un jour, on l’a retrouvée dans son box avec une fracture du bassin. Il y eut aussi Gede, un mâle d’Ultra Ducal qui n’était pas bon, et Imperial Gede, un mâle de Buvetier D'aunou né avec une malformation et qui ne put courir ».
Queila Gédé n’aura donc pas marqué le stud-book par sa descendance, mais elle est restée dans les mémoires pour ses exploits en compétition, entrecoupés il faut bien le dire parfois de déceptions, car elle resta autoritaire jusqu’au bout. Roger Baudron lui a fait accomplir une belle « deuxième » carrière, en l’amenant au sommet à l’attelage à 7 ans (Prix d’Amérique 1989), alors que Queila Gédé n’avait débuté qu’à… 6 ans dans cette spécialité. Il la définit ainsi : « C’était la jument des grands jours. J’ai cru remarquer cela. Car lorsqu’il y avait du monde sur l’hippodrome, de l’ambiance, de l’excitation, Queila Gédé n’était plus la même. Elle dressait les oreilles, se motivait d’elle-même, alors que d’autres jours plus ordinaires, elle était froide et ne faisait que le service minimum ».
Queila Gédé est morte en 2007. « Le 25 mars, jour de l’anniversaire du décès de mon père », souligne Marie-Annick Dreux. Georges Dreux fut un grand homme de cheval. Il remporta nombre de succès de prestige avec ses chevaux (Katinka, Papyrus, Quérido II, Fanacques, Champenoise, Eringa, Gueridia, etc.) et brilla particulièrement comme entraîneur dans les grandes épreuves montées, ayant épinglé à son palmarès quatre fois le Prix de Cornulier. Mais il ne put malheureusement voir réussir la suite de son élevage en piste (les « Gédé » de GD comme Georges Dreux), les Verdict Gede, Virstly Gede, Insert Gede, Prince Gede et bien sûr Queila Gédé.
Queila Gédé, dont le nom restera à jamais lié à celui de Roger Baudron, la « diva » ayant trouvé en lui un homme qui sut la comprendre et la façonner au point de lui faire remporter le Prix d’Amérique à 7 ans sans aucun artifice, soit tête nue, antérieurs nus, ferrée, sans débouche oreilles, ni œillères, on doit le souligner. Au sujet de la deuxième carrière (de 6 à 10 ans) de la championne, Ali Hawas avait d’ailleurs résumé : « Sans Roger Baudron, on n’aurait sans doute jamais entendu parler de Queila Gédé ! ».