28/06/2024 - PORTRAITS - 24h au trot - Jacques Pauc
Nous vous proposons pendant tout l'été de retrouver les grands champions qui ont construit la légende du Trot. Chaque vendredi, nous publions un article sur un cheval d'exception. Nous démarrons la série avec Bellino II.
JEAN-RENÉ GOUGEON AU SULKY
En 1974, le cheval a 7 ans. Son palmarès est déjà bien fourni. Pourtant on n’a encore rien vu ! Ecoutons Bernard Oger: « Dans le Prix René Ballière 1974, Léopold Verroken présentait Arménie sous son entraînement et Bellino II qui était resté sous l’entraînement de Maurice Macheret, son propriétaire. Léopold Verroken dit alors à Mr Macheret de passer le cheval sous son entraînement s’il voulait qu’il le drive. Mais Mr Macheret refusa. Léopold Verroken , obligé de mener Arménie , lui conseilla alors de confier le cheval à son ami Jean-René Gougeon. »
Marc Sala se souvient de cette première rencontre : « En voyant le cheval, Jean-René Gougeon a décrété qu’il était trop gros… En plus, comme Bellino ne montrait rien au travail, il se demandait ce qu’il venait faire dans cette course de vitesse. Or, le cheval a gagné en battant le record de la piste de Vincennes ! En descendant du sulky, Jean-René Gougeon s’est excusé auprès de mon père. »
Bellino II pour cette rentrée après quatre mois d’absence battait le champion américain Timothy T (Hambletonian), Casdar, Axius, Buffet II et Arménie, trottant dans la réduction de 1’16’’9 (2350 m-GP), à 28/1. Un couple mythique venait de se former. Avec Jean-René Gougeon, Bellino II franchit un nouveau palier, alignant les victoires en France comme à l’étranger. Le « rouleau compresseur » allait tout écraser sur son passage.
Jean-René Gougeon expliqua maintes fois : « Avec lui, je n’avais pas de tactique, je partais à fond et j’arrivais à fond. Il avait une tenue et une dureté incroyables. Pourtant je vous garantis que me faisais parfois du souci quand je le voyais au travail, sur le pied de … 1’30’’. Mais sur l’hippodrome et en course, il se métamorphosait. Ce n’était plus le même cheval: il devenait un combattant.»
Si Jean-René Gougeon fut son driver durant les trois dernières années de sa carrière, Michel-Marcel Gougeon succéda à René Fabre pour les courses montées, remportant notamment deux fois le Prix de Cornulier. Minou Gougeon raconte : «Bellino était facile à monter. On aurait pu d’ailleurs le courir avec la nouvelle monte tellement il était trotteur et qu’on était bien dessus. Il n’avait aucun problème d’allures. C’était un grand cheval qui avait un tout petit mors, un mors à grenouille, un mors avec une gourmette. Il était léger à la main. Sa force était sa tenue, sa dureté, son « moteur ». Il enroulait tout le temps et avait toutes les qualités. A l’étranger, je me disais qu’il aurait du mal à tourner sur les petites pistes. En fait, il aurait tourné dans une assiette ! C’est un cheval qui ne travaillait pas vite. Il allait en 1’35’’, si bien que je me suis souvent demandé comment il faisait pour aller aussi vite l’après -midi ! Une fois, René Sala me l’avait fait monter à l’exercice et, en demi-train, on était mal dessus. J’avais eu mal au dos, je m’en rappelle encore… Sinon, Bellino sortait avec un bonnet, il n’était pas « fin » au box. »
Bellino II remporta trois Prix d’Amérique, trois Prix de Cornulier, trois Prix de Paris, un Prix de France, le Grand Prix de la Loterie en Italie, le Critérium de Vitesse à Cagnes sur mer, le Prix des Elites en Allemagne, le Prix des Géants en Hollande etc. (Bellino reste le seul trotteur à avoir fait… six fois l’arrivée du Prix de Cornulier, avec trois victoires, deux deuxièmes places et une troisième place). Dans ses bons jours, le « champion au bonnet rouge » (un autre de ses surnoms) semblait imbattable et indestructible. Et il était pratiquement toujours dans un bon jour ! On aurait dit en plus que la piste de Vincennes avait été dessinée pour lui avec cette montée qu’il avalait comme un faux plat alors qu’elle sciait les jambes de ses adversaires.
Dès lors, ce n’est pas un hasard si Bellino II a accompli son plus grand exploit à Vincennes, remportant, à 9 ans, et à la suite, les Prix de l’Ile France, de Cornulier, d’Amérique, de France et de Paris (ces quatre dernières épreuves, quatre dimanches de suite, soit à une semaine d’intervalle…).
LES GRANDES VICTOIRES DE BELLINO II
Bellino II demeure le seul et unique trotteur à avoir épinglé à son palmarès les cinq internationaux majeurs du meeting d’hiver de Vincennes dans les deux disciplines. La preuve par… cinq de son grand talent. Cela se passait durant l’hiver 1975-1976. Le crack de Maurice Macheret restait sur un échec aux Etats-Unis (6eme de la Challenge Cup après avoir fini 2ème de l’Américain Savoir dans le Roosevelt International). Il fit sa réapparition (depuis août) le 15 novembre dans le Prix de Bretagne, rendant 50 mètres sur 2800 m (GP). Le crack frappa d’entrée venant battre ses cadets Espoir de Sée et Equileo partis 25 mètres devant lui (réussissant 1’18’’4-2850 mètres-GP).
Quinze jours plus tard, dans le Prix du Béarn, il rendait victorieusement 25 mètres à Catharina, Clissa, Equileo et Dimitria (en 1’19’’3 - 2625 mètres-GP), drivé par Jean-René Gougeon. Arriva le Prix de l’Ile de France (monté), le 4 janvier 1976. Bellino II entrait dans sa neuvième année et rendait 25 mètres. Il surmonta ce handicap en se jouant, gagnant d’une seconde devant Dinès P, Chablis et Cette Histoire (handicapée elle aussi de 25 mètres), et réussissant 1’18’’6 (2275m-GP) sous la poigne de Michel Gougeon. La semaine suivante, il subit son seul échec (relatif) de l’hiver dans le Prix de Bourgogne où tout en terminant correctement, il dut se contenter de la troisième place derrière Clissa et Dimitria auxquelles il rendait 25 mètres (en 1’16’’7-2275 m-GP).
Sept jours plus tard, en tête dès les tribunes dans le Prix de Cornulier, il dominait d’une classe ses adversaires (dont Cette Histoire et Egyptia) en 1’21’’3 (2600 m-GP) monté par Michel Gougeon. Après cette victoire, il s’aligna le dimanche suivant au départ du Prix d’Amérique. Vite en tête, Bellino II devait se détacher dans le dernier tournant pour l’emporter sans opposition devant Catharina, Equileo, Espoir de Sée, Timothy T et Clissa (en 1’19’’1-2600m-GP). Il signait là un second succès dans l’épreuve reine avec Jean-René Gougeon, après celui de l’année précédente (devant Axius). Puis, le 1er février 1976, il devait s’élancer 25 mètres derrière ses rivaux dans le Prix de France. Venu aux cotés des leaders Fakir du Vivier et Clissa dès le début de la montée, Bellino II domina nettement cette dernière à 100 mètres du poteau. Espoir de Sée se classait 3ème devant Equileo et Donna. Il réussissait 1’15’’9 (2275 mètres-GP) son nouveau record à Vincennes (l’ancienne piste étant moins rapide d’au moins 3 ou 4 secondes, en réduction, que la nouvelle).
Enfin, le 8 février, Bellino II et Jean-René Gougeon s’alignèrent dans le Prix de Paris où le fils de Boum III devait rendre… 75 mètres aux chevaux de tête et 50 mètres à Catharina, sa dauphine du Prix d’Amérique. Le départ avait lieu en bas de la montée, la distance étant de 3150 mètres (GP). Or les leaders, craignant l’ogre de Vincennes, ne profitèrent pas vraiment de leur avantage initial. Bellino II les rejoignit aux tribunes et menant la danse, résista jusqu’au bout à l’attaque de Catharina (en 1’21’’3-3225 m-GP). Eleazar prenait la troisième place devant Clissa et Equileo.
Bellino II n’en resta pas là, partant pour Cagnes-sur-Mer, début mars, pour ajouter un Critérium de Vitesse à son palmarès (1’15’’3-1609 mètres-autostart), battant Clissa, Dimitria et Dauga, trois chevaux de vitesse !
Et à 10 ans, il allait encore montrer qu’il restait le meilleur, remportant un troisième Prix d’Amérique après avoir perdu 30 mètres au départ (battant Eleazar, Franca Maria et Fakir du Vivier). Puis, pour ses adieux dans le Prix des Géants, à Hilversum, en Hollande, il fit une dernière fois sensation en abaissant son propre record de vitesse dans la finale (1’13’’6-1600 m, autostart) dominant Dauga et Equileo après avoir gagné sa batterie en 1’14’’8 (devant Pershing et Equileo).
Après sa carrière sur les hippodromes, Bellino II devait effectuer quatre ans de monte, mourant à 14 ans suite à une crise de coliques. Il reste de lui le souvenir impérissable d’un champion au bonnet rouge progressant inexorablement en dehors du peloton dans la montée de Vincennes. Ses adversaires connaissaient alors déjà leur sort…