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Idéal du Gazeau ou la joie de trotter | LETROT
Dans le rétro de l'Amérique

Idéal du Gazeau ou la joie de trotter

18/10/2024 - PORTRAITS - SETF - Jacques Pauc
A l'approche du Meeting d'Hiver à Paris-Vincennes, le Prix d'Amérique Legend Race plane déjà dans tous les esprits. Nous vous proposons chaque vendredi de revivre la saga de grands champions de légende qui ont remporté le championnat du monde de Sulky. C'est au tour d'Idéal du Gazeau.
©DR - Idéal du Gazeau ©DR - Idéal du Gazeau

UN QUATRIÈME CRITÉRIUM

A 4 ans, Idéal du Gazeau était alors de loin le meilleur de sa promotion. D’ailleurs en fin d’année 1978, il rendit trois fois de suite 25 mètres à Ianthin dans les Prix Octave Douesnel, Ariste Hémard et de Croix (en 1’18’’9 - 2 725 m - GP). Or, Ianthin était devenu un véritable champion. Pourtant, Eugène Lefèvre manqua d’audace dans le Prix d’Amérique 1979 face aux chevaux d’âge. Il se souvient : « Contre Fakir du Vivier, Eléazar, Grandpré et les autres « vieux », je n’y croyais pas trop. D’ailleurs, je ne voulais pas courir ce Prix d’Amérique. Ce sont ses propriétaires qui ont voulu le présenter. De plus, je suis parti comme « un fer à repasser ». Mais dans la montée, je voyais que j’étais au petit trot en dehors d’eux ! J’ai avancé dans le dernier tournant où j’avais la pointure et j’ai cru gagner, mais High Echelon qui avait trouvé le passage à la corde est venu nous battre (1’18’’2 contre 1’18’’3 - 2 600 m - GP). Si j’y crois cette année-là, je me serais baladé (N.D.L.R. : Fakir du Vivier terminait troisième devant Fadet et Grandpré) ».

Cela dit, High Echelon était un peu « la bête noire » d’Idéal du Gazeau à cette époque, et il devait le dominer plus nettement encore en fin de meeting dans le Prix de Sélection (1’17’’6 contre 1’18’’ - 2 275 m - GP), tous deux précédant Hillion Brillouard et Hymour. Ce furent les deux seules défaites (honorables) d’Idéal du Gazeau cet hiver-là. Il ne fut pas revu en piste avant le mois d’août pour le Prix Jockey (où il domina Ianthin en lui rendant 25 mètres en 1’15’’6 - 2 275 m - GP). 


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Puis arriva le Critérium des 5 Ans où Idéal du Gazeau partait « couru » à la cote de 3/10. Eugène Lefèvre se rappelle : « Jean-René Gougeon m’avait dit avant la course : « Je sais que tu vas démarrer et aller devant. Donc je vais prendre ton dos (avec Igor de Beauvoisin) et je vais finir deuxième ! ». C’est ce qui s’était passé. Vite en tête, je m’étais promené (en 1’18’’6 - 3 000 m - GP) ». Idylle Charmeuse terminait troisième devant Ispahan et Infant d’Autize.

Idéal du Gazeau devenait ainsi le premier trotteur à avoir triomphé dans quatre Critériums classiques (Critérium des Jeunes, des 4 et 5 Ans, et Continental). Puis, de retour sur la courte distance du Prix de l’Etoile une semaine plus tard, il devait surclasser Iris de Gournay et Javaza (en 1’17’’8 - 2 275 m - GP).

Il était aussi bon quel que soit la distance, Eugène Lefèvre assurant que « s’il avait beaucoup de vitesse, il était aussi à l’aise sur les longs parcours. D’ailleurs, il a gagné de 1 600 mètres à 3 000 mètres (N.D.L.R. : il remporta le Prix de Paris à 8 ans) ». Question entraînement, il ajoutera : « J’allais à la plage de Jullouville-les-Pins où j’avais mes repères. Mais je n’ai jamais fait de heats. Idéal faisait d’abord cinq ou six kilomètres au petit trot, puis un parcours de 1 500 mètres en 1’20’’ - 1’21’’, avec 250 mètres vite pour finir sur le pied de 1’10’’ - 1’11’’, juste en allongeant les mains. J’allais aussi le travailler chez Louis Sauvé près de chez moi. Louis avait une très bonne piste. Marcel Hernot, son lad, l’emmenait à la plage pratiquement tous les jours. Il s’en est remarquablement occupé ».

Marcel Hernot justement commentera : « On allait à la plage de Saint-Jean-le-Thomas tous les jours pendant deux heures environ. Il allait dans l’eau, ressortait, se promenait. Idéal était gentil comme tout, au box comme dehors. C’était un bon mangeur et un gros dormeur aussi. Et quand il travaillait, c’était plus sur la longueur que sur la vitesse. Seul petit problème, il n’avait pas de bons pieds, ayant souvent des seimes ».

La victoire d'Idéal du Gazeau dans le Prix d'Amérique 1981

LE PRIX D’AMÉRIQUE AVANT L’AMÉRIQUE

Vu ses exploits répétés à Vincennes, une victoire dans le Prix d’Amérique était promise à Idéal du Gazeau, surtout après sa belle deuxième place à 5 ans. Pourtant, il rata la marche l’année suivante, en 1980, terminant huitième et étant dominé nettement à la fin après avoir animé la course avec Hadol du Vivier qui céda lui aussi. Eléazar l’emportait devant Grandpré et Gadamès. Il venait pourtant de surclasser ses adversaires quinze jours plus tôt dans le Prix de Belgique où il rendit 25 mètres en se jouant (en 1’17’’9 - 2 625 m - GP) d’Ejakval, Ianthin et Gazon. Cette victoire faisait suite à celle obtenue pour sa réapparition dans le Prix Marcel Laurent, où il rendait 25 mètres à Icarios et Jorky. Que s’était-il passé ? Eugène Lefèvre reconnaît : « J’avais gagné trop brillamment le Prix de Belgique. Cela avait été une vraie course, et Idéal était arrivé défraîchi sur le Prix d’Amérique. Oui, j’avais fait une erreur. Dans la vie, on fait tous des erreurs. J’avais couru un Prix d’Amérique quinze jours avant le vrai ! ».

Eugène Lefèvre et Idéal du Gazeau, que tout le monde appelait Gégène et Idéal depuis longtemps, se rattrapèrent l’année suivante. Après une seule course de rentrée (4ème du Prix de Bourgogne de Ianthin à qui il rendait 25 mètres), Idéal du Gazeau allait l’emporter pratiquement de bout en bout, prenant ses distances avec le peloton dès la plaine pour ne pas être réellement inquiété par la belle fin de course de Jorky, gagnant en 1’17’’4 (2 600 m - GP). L’américaine Classical Way (mal partie), Istraeki et Illera venaient ensuite.

Gégène avait gagné le prix d’Amérique autant qu’Idéal, car Jorky, gêné et malchanceux en descendant, refit un terrain considérable sur eux pour finir à une longueur seulement. Eugène Lefèvre raconte : « Idéal pouvait se mettre parfois à tirer à Vincennes quand cela n’allait pas assez vite. Ce jour-là, il a commencé à le faire en plaine, alors je me suis sauvé ! Et on n’a jamais été vraiment inquiété. Gagner le Prix d’Amérique pour un petit entraîneur comme moi, c’était formidable. Tu te demandais si c’était possible ! ».

Troisième l’hiver suivant de Hymour et Jiosco après avoir mené et fait illusion pour la victoire, Idéal du Gazeau triompha une deuxième fois dans le Prix d’Amérique en 1983, à 9 ans. Après avoir attendu en bonne place, il attendit la lignée d’arrivée pour placer sa pointe, mais se trompa un instant dans ses allures (prenant le galop durant quatre foulées) et, s’il revint battre Lurabo et Lutin d’Isigny à la fin, ses allures motivèrent une enquête. Après délibération des commissaires, le résultat fut maintenu. Il est vrai que sa faute n’avait pas été très longue, et le disqualifier eut été sévère. Cela dit, et même s’il avait toujours cette vitesse exceptionnelle, Idéal du Gazeau était devenu assez malin en prenant de l’âge, et il lui arrivait parfois ainsi de changer de jambes pour prendre un bol d’air. Mais rien de bien méchant. Eugène Lefèvre pense : « Il voulait aller trop vite et se précipitait parfois ainsi, d’où ces changements de jambes. Mais sa grande force, c’était justement sa vitesse. Quand tu mettais le clignotant, tu aurais dit une Ferrari au milieu des 2 CV ! Souvent, je me demande combien il pourrait trotter sur la nouvelle piste de Vincennes (N.D.L.R. : plus rapide de près de quatre secondes en réduction kilométrique désormais que l’ancienne). Sans aucun doute sur le pied de 1’10’’ un parcours. A l’entraînement, il savait faire 500 mètres sur le pied de 1’07’.».


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Cette fameuse vitesse innée lui permit de s’imposer un peu partout en Europe sur les pistes plates de 1 000 mètres, en Suède (deux Elitloppet), en Italie (le Grand Prix des Nations) et aussi aux Etats-Unis, où sur le petit tracé de 800 mètres de Roosvelt (New-York) il devait remporter trois fois le Championnat du Monde (officieux) des trotteurs (le Roosvelt International - 2 011 m - autostart). « La première année, en 1980, on avait fini deuxième de Classical Way. Idéal avait eu du mal à tourner sur cette petite piste. Alors l’année suivante, je lui avais mis un petit piquant et une barre à gauche. On avait alors battu Jorky, faisant dead-heat avec lui dans la Challenge Cup une semaine plus tard. Puis, il a regagné deux fois ce Championnat du Monde, à 8 et 9 ans, facilement à chaque fois (N.D.L.R. : en 1982 il battait l’italien Zebu, et en 1983 le suédois Legolas et Ianthin). » Inutile de préciser qu’Idéal du Gazeau voyageait très bien. Marcel Hernot, son fidèle soigneur et accompagnateur, le soulignait : « Il n’a jamais posé de problèmes, ni en avion, ni en camion, n’étant jamais stressé. Il s’adaptait à tout. A la fin, quand il était parti faire la monte en Suède, je l’avais accompagné et j’étais resté avec lui deux mois. Il s’était tout de suite adapté ».

Agé de 9 ans, Idéal du Gazeau était proche de la fin de sa carrière, une carrière internationale exceptionnelle. Après un nouveau succès dans la Challenge Cup à New-York, il revint en Europe courir en Italie, puis en Suède (3ème du Grand Prix d’Aby), avant de disputer sa dernière course en Finlande dans le Prix Finlandia (8ème de sa batterie). C’était fini. « Petit bonhomme » (son surnom) allait bientôt se consacrer à une nouvelle vie, celle de reproducteur. Ses cinq propriétaires, Pierre-Jean Morin dont il porta la casaque, Michel Augrain, Marcel Lefranc, André Nivard et Juliette Redon ne refusèrent pas l’offre d’achat conséquente venue de Suède (15 millions de francs de l’époque correspondant à environ 4 465 000 € d’aujourd’hui). Idéal du Gazeau prit ainsi la route de la Suède et du Haras d’Albaeck. Il devait y produire quelques bons trotteurs dont la championne Lovely Godiva 1’13’’ (1ère Prix de France, Breeders Crown des 3 et 4 Ans, 2ème Prix d’Amérique), His Majesty 1’12’’ (Champion du Monde aux Etats-Unis), Mr Moxy 1’13’’ (Derby norvégien), Peace On Earth 1’13’’, Idéal du Suède 1’14’’, Meteor Nibs 1’14’’, etc.

Plus tard, il alla saillir en Italie et en France où sa production fut moins bonne, même si Annibal 1’15’’ (3ème Prix Robert Auvray) et Joie Du Tremblay 1’13’’ montrèrent de la qualité chez nous. Ensuite, il fut acheté par M. Schroer (Ecurie November) en 1996 et termina sa carrière d’étalon à Flevo Farm, en Hollande, où il mourut d’une crise cardiaque à 24 ans, le 27 février 1998.

TROTTEUR NATUREL

Plus que sa production, honorable certes mais pas remarquable (« Il a surtout fait des bons chevaux avec des juments américaines lors de son stationnement en Suède », rappelle Eugène Lefèvre), Idéal du Gazeau 1’13’’ aura laissé de grands souvenirs durant sa longue carrière de course. « Trotteur naturel, il courait sans artifices, sans débouche-oreilles, ni attache langue, pas de petit licol, rien qu’un petit filet brisé, car il ne fallait pas l’emboucher. Et il était ferré avec juste quatre petits aluminiums, n’ayant pas besoin de poids », signale son entraîneur.

Idéal du Gazeau incarna surtout la joie de trotter - « Il semblait se promener sur la piste », a dit joliment de lui Roger Baudron - comme si la compétition était plus un jeu qu’autre chose pour lui. Comme l’affirme Eugène Lefèvre, « son seul plaisir était d’aller vite. Là, il était le plus heureux du monde. Il n’aimait pas aller doucement, c’est pourquoi il se mettait à tirer en course dans ce cas de figure ». Et si d’autres champions avant lui avaient impressionné, on voyait souvent l’effort et la souffrance dans leurs attitudes, Idéal du Gazeau, lui, paraissait glisser sur la piste, s’amuser. Petit cheval (1m57) à grande action, lançant loin devant lui ses antérieurs, il semblait monté sur des ressorts, ne restant pas au sol, rappelant le mot de Charles Riley, entraîneur du fameux sprinter Jesse Owens (quatre médailles d’Or aux Jeux Olympiques de 1936) : « Cours comme si le sol te brûlait les pieds ». Plus que son remarquable palmarès international, c’est cette image qui est restée de lui. Outre la sympathie qu’Idéal du Gazeau et Eugène Lefèvre inspirèrent.

Idéal du Gazeau dans l'Elitloppet 1982

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