En ce début du Meeting d'Hiver à Paris-Vincennes, le Prix d'Amérique Legend Race plane déjà dans tous les esprits. Nous vous proposons chaque vendredi de revivre la saga de grands champions de légende qui ont remporté le championnat du monde de Sulky. Roquépine clôture la série.
ELLE RèGNE SUR LE MONDE DU TROT
Durant ces années, Roquépine avait sillonné le monde, allant en Suède dès l’âge de 5 ans remporter l’Elitloppet (la finale devant Quioco en 1’15’’3 - 1 609 m - autostart), puis le Championnat International au Danemark (devant Pick Wick et Apex Hanover), les deux fois avec Jean-René Gougeon. Invitée à New York pour l’International Roosevelt (attelé - 2 011 m - autostart), Roquépine échoua de peu contre la championne américaine Armbro Flight Kentucky Futurity), ne pouvant la remonter malgré une bonne attaque finale (1’15’’4 pour les deux juments). Le champion Noble Victory terminait ensuite devant Pluvier III et Pick Wick.
De retour en France, Roquépine aligna sept victoires, dont le Critérium des 5 Ans (1’22’’1 - 3 000 m - GP) aisément devant Ricotte et Rex Grandchamp, après le Prix d’Europe à Enghien devant Oscar RL et Roc Wilkes en rendant 50 mètres. Si elle ne put en faire de même au jeune champion Toscan dans le Prix Marcel Laurent (1’17’’5 - 2 325 m - GP), puis Roquépine partit pour Cagnes-sur-Mer où elle domina sans émotion Petit Amoy F et Quarina dans le Critérium de Vitesse (1’16’’8 - 1 609 m - autostart) après le meeting d’hiver où elle remporta son deuxième Prix d’Amérique.
Gagnante à Turin, à Naples (Grand Prix de la Loterie en 1’16’’4 devant Lansing Hanover et Short Stop en finale), à Milan et à Stockholm (Elitloppet avec Henri Levesque en 1’15’’1 en finale devant Spin Speed après avoir trotté le nez au vent), la jument s’envola pour les États-Unis. Elle gagna d’emblée en juin à Yonkers avant d’être battue (5ème). Elle repartit alors pour Rome (2ème de Dashing Rodney dans le « Lido »), avant de retourner à New York pour devenir championne du monde des trotteurs dans le Yonkers International le 19 août 1967. Menée par Henri Levesque, la jument prit la tête et son driver imposa un faux train. Or, personne ne vint l’attaquer et tout se joua au sprint. Roquépine se montra la plus forte à ce petit jeu pour gagner (1’21’’5 - 2 011 m - autostart) devant la championne canadienne Fresh Yankee et Governor Armbro !
De retour en Europe, elle signa deux nouvelles victoires à Hambourg et à Naples, avant son troisième triomphe dans le Prix d’Amérique en 1968. Ensuite, elle repartit pour un nouveau périple à 7 ans, devant partager la victoire avec la redoutable finisseuse Eileen Eden à Turin (Grand Prix de la Côte d’Azur), celle-ci la battant en finale de la Loterie à Naples. Durant l’été, après un succès dans le Prix de l’Atlantique à Enghien devant Eileen Eden, Roquépine (Jean-René Gougeon) devait devenir une deuxième fois championne du monde des trotteurs aux États-Unis dans l’International Trot à Roosevelt. Sur cette petite piste de 800 mètres, elle fut pourtant « parquée » en deuxième épaisseur près de l’animateur Kentucky Fibber, mais elle réussit pour finir à battre de peu son rival (1’18’’7 -2 011m – autostart) et Fresh Yankee, qui avait patienté en embuscade.
Puis ce furent un succès à Rome et un autre à Milan en fin de saison dans le Grand Prix des Nations (1’16’’5 - 2 100 m - autostart) devant Eileen Eden et Roitelet SS. Mais juste avant cela, Roquépine était allée gagner en Belgique et en Italie (Prix de la Victoire à Bologne) avec Jean Riaud, Jean-René Gougeon n’étant pas libre. « Je ne l’ai drivée que deux fois et on avait gagné facilement. Roquépine m’a laissé le souvenir d’une jument très trotteuse, dure, commentera Jean Riaud. Mais elle avait besoin d’un peu de poids, ce qui est pourtant un inconvénient à ce niveau. » Jean-René Gougeon devant driver Une de Mai durant l’hiver et Jean Riaud les pensionnaires de l’écurie Olry Roederer (dont Tabriz), Henri Levesque décida de confier Roquépine à un autre grand driver, Roger Baudron. Mais la championne était un peu vieillissante et Roger Baudron ne put gagner avec elle même si elle prit de belles places (7ème du Prix d’Amérique, 3ème du Prix de France de Tidalium Pélo et Une de Mai). C’est son jeune compagnon d’écurie, Upsalin (Louis Sauvé), qui gagna le Prix d’Amérique 1969 au sprint, battant Une de Mai et Toscan. Il apportait un cinquième succès à l’écurie Levesque dans notre grand international, un record qui tient encore !
Après quelques sorties honorables (2ème d’Une de Mai dans le Prix de l’Atlantique), Roquépine arrêta sa carrière un peu plus tard, en mai 1969, à 8 ans. Sa dernière course se solda par une deuxième place dans sa batterie de l’Elitloppet avant de finir non placée dans la finale. Roger Baudron, qui la driva donc huit fois, se rappelle : « Roquépine était un peu fatiguée quand je l’ai menée à 8 ans, un peu moins tranchante. Mais elle était facile à driver. C’était une vraie trotteuse, solide, courageuse, même si elle avait besoin de poids. Oui, il fallait qu’elle ait un cœur terrible pour faire une telle carrière avec des fers à planche, des plaques, des cloches rayées devant. Aussi de temps en temps, elle pouvait tomber à la « bidaille », comme à Bruxelles sur un mauvais terrain où elle s’était déferrée. Je l’avais essayée durant l’hiver 1968-1969 juste après avoir trotté Vaccares II, celui-ci préparant le Critérium des 3 Ans qu’il allait gagner. Vaccares II m’avait fait beaucoup plus forte impression que Roquépine. Il volait, étant vraiment phénoménal. Roquépine, elle, moulinait en trottant. Maintenant, je le répète, je l’ai menée alors qu’elle était en fin de carrière ».
A propos du poids qu’avait Roquépine, Henry-Louis Levesque rapportera cette anecdote : « Un jour aux États-Unis avec Roquépine, Jean-René Gougeon avait plusieurs longueurs d’avance dans le dernier tournant d’une belle course quand elle s’était désunie. Il ne comprenait pas pourquoi. Après la course, il avait regardé les fers de la jument et avait demandé à mon père : « Vous ne l’auriez pas allégée ? ». Mon père ne lui avait rien dit, mais il avait effectivement un peu allégé la jument, enlevant 20 grammes (lui faisant mettre des fers de 180 au lieu de 200 grammes), et à 20 grammes près cela n’allait plus ! ».
SA PRODUCTION
Henri Levesque laissa se reposer sa championne plusieurs mois avant de la faire saillir. Comme il aimait les États-Unis et ses trotteurs, il choisit de la présenter à Star’s Pride 1’12’’ (Kentucky Futurity, 2ème Hambletonian), le meilleur étalon américain du moment stationné à la fameuse Hanover Shoe Farm de Lawrence Sheppard. Roquépine s’envola donc pour les USA en 1970, mettant bas d’un mâle de Star’s Pride en 1971 (Florestan), puis y fut saillie de nouveau par Ayres 1’12’’ (un fils de Star’s Pride), un vainqueur de la Triple Couronne US (Hambletonian, Kentucky Futurity, Yonkers Trot). De cette union naquit Granit qui fit une belle carrière en Europe, comme Florestan, avec Gerhard Kruger. « Mon père voulait présenter Roquépine au champion Speedy Scot pour son deuxième « mariage », se souvient Henry-Louis Levesque. Mais Speedy Scot ne faisait pas la monte à la Hanover Shoe Farm. Or, Lawrence Sheppard ne voulait pas que Roquépine aille ailleurs que chez lui et il a montré à mon père des films des victoires d’un de ses étalons, Ayres. Mon père a finalement pris une saillie de celui-ci, qui était alors un jeune étalon pas confirmé. On l’a regretté plus tard. »
Il est vrai qu’Ayres ne fut pas un grand étalon, bien moins bon en tout cas que Speedy Scot 1’13’’ (autre lauréat de la Triple Couronne US), un cheval puissant devenu notamment le père du fameux champion et chef de race Speedy Crown 1’12’’(Hambletonian), outre la remarquable Classical Way 1’11’’ (Kentucky Futurity, Prix de France, 3ème du Prix d’Amérique).
Plus tard, Florestan 1’15’’ (Graf Kalmann Hunyady, Greyhound Rennen) et Granit 1’14’’ (Prix de la Flèche d’Europe) furent achetés par les Haras Nationaux. Le premier nommé devint un très bon étalon et un remarquable père de mères, alors que le petit Granit produisit correctement. Roquépine fut ensuite présentée à ce qu’il y avait de mieux chez nous comme étalon, soit Kerjacques et Fandango. De ces unions naquirent l’excellente Hague 1’16’’ (1ère du Prix Marcel Laurent, 3ème du Prix de l’Etoile) et Ile Marie 1’18’’, bonne lauréate à Paris. Henry-Louis Levesque explique : « On devait faire rentrer Roquépine en France suitée de Star’s Pride pour que Florestan soit européen. Si on l’avait laissé plus longtemps aux États-Unis, il serait devenu américain. Après Florestan, qui se révéla bon à 2 et 3 ans mais qui ne fut pas le champion espéré par mon père, et Granit, qui était très ambleur, elle a donc donné Hague, une bonne jument qui n’avait pas besoin de poids, et Ile Marie, d’une classe en dessous. Roquépine était très gentille avec ses poulains. C’était une bonne mère mais, parfois, elle ne voulait pas rentrer du champ le soir. Louis Poisson ne pouvait pas l’attraper alors. Elle est morte en décembre 1974 en avortant de Kerjacques ».
UNE « MACHINE » À TROTTER
Petite-fille et fille de juments classiques, classique elle-même, Roquépine aura marqué les esprits par son palmarès exceptionnel mais aussi le stud-book du trotteur français, surtout par son fils Florestan, ce qui est plus rare à ce niveau. Car, en fin de compte, peu de championnes ont su se continuer aussi bien par leurs descendants à travers les générations. Restent également de Roquépine les avis de grands professionnels qui l’ont vu courir. C’est le cas de l’Allemand Kurt Hormann (3 600 victoires de par le monde) : « J’aurais aimé la driver, car c’était une jument complète, capable de gagner sur toutes les pistes et toutes les distances, partout dans le monde. Elle s’adaptait à toutes les situations et m’avait impressionné en gagnant un championnat du monde à New York. Arrivée à Francfort dans la semaine, puis acheminée à Hambourg, elle avait gagné le Grand Prix avec Henri Levesque. Puis revenant dans son box, je l’ai vue alors se rouler dans la paille et commencer aussitôt à manger. Il faut vraiment un cheval fort pour réagir ainsi. C’est aussi cela un champion ».
L’Italien Walter Baroncini (Prix d’Amérique 1962 avec Newstar, 4100 victoires) a confié : « Elle fut une jument exceptionnelle, très complète. Elle avait un passage facile et naturel, pouvant ainsi s’exprimer sur toutes les pistes, à Vincennes comme sur une piste d’un demi-mile. Elle pouvait aussi gagner en allant devant ou en attendant. Ce fut une championne absolue que je ne pourrais jamais oublier ».
Chez les professionnels français, François Brohier (Prix d’Amérique 1961 avec Masina) dresse le portrait suivant : « Roquépine était différente de Masina, moins puissante, assez susceptible jeune mais d’un beau modèle, bien équilibré. Ce fut une jument qui avait beaucoup de sang, très dure, une machine à trotter ».
Jean-Pierre Dubois (deux Prix d’Amérique avec High Echelon en 1979 et Hymour en 1982) souligne : « Roquépine fut mise au point par Henri Levesque qui a souffert au début avec elle. Je me souviens l’avoir vue sortir de sa cour à Joinville dressée sur ses postérieurs ! C’était une jument très dure. On connaît sa carrière. Elle a bien reproduit ensuite, et en tant qu’éleveur je suis sensible à cela ».
De son côté, Jean-René Gougeon (huit Prix d’Amérique), qui l’a menée si souvent à la victoire, commentait : « Elle m’a fait gagner mon premier Prix d’Amérique. Au début, « Monsieur Henri » en a bavé avec elle. Elle était très difficile dans la bouche notamment. Il lui fallait aussi du poids, mais elle a gagné sur toutes les pistes du monde. Le matin où Henri Levesque est venu me trouver à Grosbois pour me demander si je voulais bien driver ses chevaux, ma vie a changé. (…) Avec Roquépine et d’autres, on a fait le tour du monde. Partout, il était bien reçu, car les gens l’aimaient. C’est un homme qui m’a énormément apporté et jusqu’à la fin de mes jours, je garderais le plus profond respect pour lui et sa famille ».
Henri Levesque que son gendre, Maurice de Folleville, définira ainsi : « C’était un homme sympathique, intelligent et ouvert. Il avait le savoir être, le savoir vivre et… le savoir tout court avec les chevaux ». Aujourd’hui disparus, Henri Levesque, Jean-René Gougeon et Roquépine auront en tout cas laissé une trace indélébile dans l’histoire du trotting mondial. À leur sujet, on peut parler de classe mondiale.