Le déferrage et sa réglementation font partie des sujets qui peuvent fâcher. Ou du moins opposer frontalement les tenants de deux lignes de conduite radicalement différentes. D’un côté, on a les opposants au déferrage. Leurs arguments vont du bien-être équin à sa conséquence sur la capacité à faire durer un compétiteur, en passant par l’équité des chances (si tous les candidats sont ferrés, ils évoluent dans le même et strict contexte concurrentiel). Plusieurs ont développé leurs convictions dans notre édition du 15 juin 2022. De l’autre, il y a les partisans du déferrage. Pour eux, il est consubstantiel de la performance, la raison même des courses, et découle du libre-choix de chacun, qui dispose des mêmes droits de déferrer ou non. Là encore, plusieurs professionnels sur cette ligne nous ont détaillé leur point de vue en 2022 (édition du 26 juillet).
Le sujet est toujours là et un statu quo a fait office d’arbitre depuis plusieurs années. Les choses viennent d’évoluer, avec de nouvelles conditions plus restrictives à partir du 1er juillet. Parmi les éléments de contexte, il y en a deux qui prédominent. D’une part, la tendance permanente au plus de déferrage (voir les données plus loin). Désormais, plus de 50 % (52,2 % en 2023) des trotteurs courent déferrés plus de six fois par an. Ils n’étaient que 37,8 % dans ce cas de figure en 2019 et 43,7 % en 2021. D’autre part, la montée en puissance du bien-être équin n’accepte plus les cas "borderline". En interdisant de courir déferré(e) plus de 15 fois sur douze mois glissants, ce sont les 8 % des partants les plus exposés (une donnée de 2023) que l’on contraint à rejoindre une pratique du déferrage que l’on veut plus raisonnable.
Bruno Muel, président de la Commission du Code
Dans son rôle de président de la Commission du Code des Courses de la SETF, Bruno Muel a été l'un des principaux acteurs de la réforme de la réglementation sur le déferrage.
24h au Trot.- Pouvez-vous nous parler du processus qui a conduit à revoir les règles de déferrage votées lors du Comité de la SETF ce mercredi ?
Bruno Muel.- Ce sujet est en fait sur la table depuis plusieurs mois et avait été mis entre parenthèses le temps des élections car c’est un sujet qui peut être irritant et qui se devait d'être abordé dans la sérénité. Nous nous en sommes saisis en février lors des premiers travaux de la nouvelle Commission du Code dont j’ai été élu président. J’ai interrogé et consulté sur le sujet tous les présidents des Comités régionaux, sur la base des différentes données à notre disposition. La question de la révision de la réglementation du déferrage devait absolument avoir un retour et une expression du terrain. Par exemple, six Comités se sont prononcés pour l’interdiction du plaquage à 2 et 3 ans et les trois autres ont exprimé un avis contraire.
Concernant le maximum de 15 déferrages par cheval sur une année glissante, quels principes ont œuvré ?
B.M.- Nous sommes partis de la conclusion de l’étude de Jean-Marie Denoix qui montrait qu’un trotteur mettait un mois pour récupérer l’intégrité de son pied (corne notamment) après une course déferrée. Il nous a semblé qu’il était temps de prendre une décision de régulation, de dresser un cadre pour éviter les abus. On sait que 95 % des entraîneurs travaillent très bien mais on sait aussi qu’il peut y avoir des abus, forcément dommageables pour notre image et notre profession. La première proposition était de limiter à 12 déferrages sur 12 mois glissants. La Commission du Code a demandé à être plus souple. Ce qui a conduit à ne pas comptabiliser les courses sur l'herbe et à passer à 15 fois sur 12 mois glissants. Cela concerne moins de 8 % des partants. Pour nous, ces décisions s’inscrivent dans une plus grande prise en compte du bien-être animal.
Est-ce que le sujet de la baisse des partants a aussi motivé ces nouvelles règles ?
B.M.- Pas vraiment. On ne peut citer le recours au déferrage comme facteur direct de la baisse des partants. Il y a plutôt un ensemble de facteurs qui conduisent à la baisse des partants. Et parmi eux, le recours excessif au déferrage peut conduire à avoir des chevaux qui courent moins souvent s’ils ont perdu en souplesse par exemple. On est quand même ici dans le cadre d'une relation indirecte et multifactorielle. Il faut aussi rappeler que les chevaux peuvent réagir très différemment au déferrage. Quant à l’interdiction du plaquage à 2 et 3 ans, il me semble logique. Il a été prouvé que le plaquage (je ne parle pas ici de la résine), avec ses clous, pouvait abîmer les parois des pieds et impacter à terme le physique des jeunes trotteurs.
Pourquoi avoir opté pour une interdiction complète et non pour une limitation du nombre de recours au plaquage par exemple ?
B.M.- Dans nos consultations, notamment dans les Comités régionaux, beaucoup de professionnels nous ont répondu qu’ils plaquaient parce que le "voisin" plaquait. Ils le faisaient donc pour rester concurrentiels. En interdisant le plaquage, on replace tout le monde à égalité en quelque sorte.
Quel premier bilan après trois mois à la tête de la Commission du Code des courses ?
B.M.- Je suis vraiment content de l’implication de tous les membres de la Commission du Code. Chacun est force de proposition, a envie de travailler et les débats sont riches et sains. Cela fait bien avancer les choses. Le travail dans notre commission représente un important investissement personnel de temps pour chacun de ses membres. Des questions importantes pour le futur vont être à notre ordre du jour prochainement comme celle concernant le poids des jockeys. Ce sera aussi un sujet majeur pour l’avenir des jeunes dans nos métiers. Nous allons débattre en sérénité et prendre du temps sur ce type de problématique.