Nous vous proposons pendant tout l'été de retrouver les grands champions qui ont écrit la légende du Trot. Chaque vendredi, nous publions un article sur un cheval d'exception. Dahir de Prélong poursuit le chapitre des sagas.
TROIS FOIS DEUXIÈME DANS LES CRITÉRIUMS
Au cours de l’hiver suivant, Dahir de Prélong fit partie des favoris du Critérium des 3 Ans à la suite de sa nette victoire dans le Prix Jacques de Vaulogé (1’14’’8 - 2 100 m. autostart - GP). Après avoir mené, il devait s’y faire battre à la fin par l’outsider Destin De Busset (Ulf Nordin) qui avait longtemps attendu (1’17’’4 - 2 700 m. - GP). Bertrand Lefèvre émet encore des regrets des années plus tard : « Je n’avais pas vu que Derby du Gîte avait perdu beaucoup de terrain au départ. Aussi, quand il m’avait attaqué dans la montée, j’avais répondu et on avait dû faire cinq cents mètres sur le pied de 1’10’’ ! Dans le dernier tournant, Derby du Gîte avait cédé. Moi, je filais au poteau mais, à cent mètres du poteau, ‘’Dahir’’ avait son compte et s’était fait remonter à la fin ». Defi D'aunou terminait troisième un peu plus loin.
Pas marqué par cette course dure pourtant, Dahir de Prélong remporta ensuite le Prix Jules Thibault (2 100 m. - autostart - GP) devant Dorlic Du Pas et Don Giovanni, avant de finir deuxième de Défi d’Aunou (en lui rendant 25 mètres) dans le Prix Ephrem Houel (1’17’’3 - 2 725 m. - GP). Puis, il fit une véritable démonstration dans le Prix de Sélection où, parti 50 mètres devant ses aînés, il les ridiculisa et gagna de plus de trente mètres en 1’14’’9 (2 150 m. - GP), clôturant ainsi son hiver par ce beau succès classique.
Ensuite, il devança deux fois Défi d’Aunou dans les Prix Gaston de Wazières et Gaston Brunet avant de ne pouvoir rendre 25 mètres à Dryade Des Bois dans le Prix Phaëton (2 850 m. - PP). Dans le Critérium des 4 Ans, le fils de Fakir du Vivier affrontait notamment quatre « Dubois » de qualité (Défi d’Aunou, Dance Marathon, Daholic et Dresden), outre Derby du Gîte et Dryade des Bois. Dahir de Prélong allait se faire battre de peu par l’animateur Défi d’Aunou (1’17’’6 - 2 850 m. - GP) qu’il n’arriva pas à remonter totalement. Dance Marathon terminait troisième tout près devant Dryade des Bois et Derby du Gîte. Bertrand Lefèvre analysera plus tard : « Bien parti, je m’étais retrouvé sur la première ligne mais en troisième épaisseur, en dehors de Défi d’Aunou, à la corde, et de Dance Marathon. De plus, il n’y avait pas de train et je m’étais dit : ‘’Si j’avance, je vais à la mort’’. J’avais donc préféré attendre, car je savais que Défi d’Aunou avait moins de vitesse que le mien. Mais, en revoyant la course à la télévision, je me suis aperçu qu’en haut de la montée, Défi d’Aunou avait eu des problèmes d’allures et que j’aurais pu alors le prendre de vitesse à cet endroit du parcours. J’aurais donc dû attaquer et non plus tard, car Défi d’Aunou s’était relancé sur le plat, alors qu’il peinait dans la montée avec ses grandes allures ».
Battu deux fois dans les Critériums, Dahir de Prélong avait encore la possibilité d’inscrire à son palmarès le Critérium Continental sur le parcours des 2 100 mètres (autostart) de la Grande Piste de Vincennes. Mais, cette année-là, un 4 ans suédois exceptionnel était de la partie. Il s’appelait Mr Lavec. Celui-ci avait en effet non seulement gagné le Critérium des 3 Ans en Suède mais, surtout, il avait fait carrière aux États-Unis à 2 et 3 ans, remportant le Harriman Challenge Cup et terminant deuxième du classique Peter Haughton Memorial à 2 ans avant de se classer deuxième du fameux Hambletonian à 3 ans. De fait, parti à toute allure avec Jos Verbeeck, Mr Lavec ne fut jamais inquiété, seul Dahir de Prélong pouvant rester dans son sillage et terminant facile deuxième en 1’14’’2 (contre 1’13’’4 au vainqueur).
Peu après, Dahir de Prélong devait retrouver Mr Lavec dans le Grand Prix de l’U.E.T., dont les éliminatoires avaient lieu à Munich. Bertrand Lefèvre essaya vainement de faire plier son rival dans le leur. Il raconte : « Je voulais attendre et venir de derrière, mais on m’avait dit : ‘’Tu risques de ne pas te qualifier pour la finale avec cette tactique’’. J’avais alors démarré malgré mon numéro 8 en dehors. Mais Mr Lavec m’avait contré et on avait été à fond pendant un bon moment… Un professionnel allemand nous avait chronométrés en 1’09’’les premiers 1 600 mètres ! Après, j’avais préféré poser les mains, mon cheval étant asphyxié par cet effort ». Mr Lavec gagnera la batterie, mais saignera après la course et terminera troisième de la finale remportée par Derby du Gîte.
LE PRIX DU BOURBONNAIS À 4 ANS !
Dahir de Prélong prit ensuite un peu de repos pour revenir meilleur que jamais l’hiver suivant. Il en est ainsi des vrais champions, les courses dures les « ouvrent », alors qu’elles restent en travers la gorge des « imitations ». Ainsi, dès sa réapparition, dans le Prix Octave Douesnel, il prit sa revanche sur Défi d’Aunou en lui rendant 25 mètres (1’17’’1 - 2 725 m. - GP). Il devait faire mieux encore lors de sa sortie suivante dans le Prix du Bourbonnais (2 700 m. - GP) où il affrontait à 4 ans l’élite des trotteurs d’âge. Bertrand Lefèvre se souvient : « Ne pensant pas avoir une première chance face aux ‘’vieux’’, j’avais décidé d’attendre. J’avais donc patienté dans le peloton. Mais, mon cheval, surpris en prenant des projections, ne faisait pas trop de train, si bien que je l’avais commandé une fois à la cravache en plaine et il s’était retendu. On avait alors pris le dos d’Abo Volo. Dans le dernier tournant, je les voyais tous à la peine, alors que j’étais encore facile, très facile. J’avais déboîté ensuite, venant coiffer Abo Volo ! ‘’Dahir’’ s’était mis à plat ventre. Il reste le seul 4 ans à avoir battu ses aînés dans le Prix du Bourbonnais ». Dahir de Prélong s’imposait en 1’15’’2 (2 700 m. - GP) devant Abo Volo (qui rendait 25 mètres), disqualifié sévèrement après enquête pour avoir empiété en dedans de la piste, Balou Boy, Cedre Du Vivier, Arnaqueur, Capitole et Coktail Jet, lui aussi handicapé de 25 mètres.
Ce Prix du Bourbonnais restera la plus belle victoire de sa carrière. Peu après, il se classa deuxième tout près de Défi d’Aunou dans le Prix de Croix (tous deux rendant 25 mètres à Dryade des Bois) et gagna le Prix Guy Le Gonidec (rendant 25 mètres à Diametty), mais devait échouer dans le Prix d’Amérique. Ce jour-là, il ne put s’extirper du peloton, tandis que Coktail Jet avait pris la tête en plaine et avait un peu endormi le peloton, avant d’accélérer à la fin pour triompher nettement devant Abo Volo, Arnaqueur, Ina Scot, Camino, Cèdre du Vivier et Capitole, pour la plupart des chevaux que venait de battre Dahir de Prélong dans le Prix du Bourbonnais.
Bertrand Lefèvre rappelle : « Bien parti, je m’étais assez vite retrouvé derrière un italien qui n’avançait pas. Dans la montée, on trottait parmi les derniers, enfermés à la corde ! C’était fini... Ce fut comme s’il n’avait pas couru ».
La forme de Dahir de Prélong était pourtant restée bonne. Lors de sa sortie suivante, il gagna le Prix Roederer devant Défi d’Aunou. Puis, il courut le Prix de Paris (« une erreur », dixit son entraineur), termina troisième de Défi d’Aunou et Vourasie dans le Prix des Communautés Européennes. Et ce fut fini… Dahir de Prélong devait rentrer boiteux de ce meeting d’hiver « ayant ‘’bougé’’ en haut d’un suspenseur à un postérieur », selon Bertrand Lefèvre qui tentera, sans succès, deux come-backs avec son champion en 1997 et 1998.
DAHIR DE PRÉLONG AU HARAS
Entré au haras, Dahir de Prélong produisit correctement sans devenir un grand étalon. Mais on retrouve parfois chez certains de ses descendants la vitesse pure qu’il démontra sur les pistes, à l’instar de son père, Fakir du Vivier. Voir chez le surdoué Korean 1’12’’ (Critérium des 4 Ans, Critérium Continental et 3ème Prix de Sélection) et son fils, le suédois Sebastian K. (Grand Prix d’Aby et Grand Prix d’Oslo). À Pocono Downs (piste de 1 000 mètres) aux États-Unis en 2014 à 8 ans, ce dernier établit le nouveau du monde de vitesse au trot en 1’07’’7 (déferré des quatre pieds) sur 1609 mètres (autostart), drivé par son entraîneur, Ake Svanstedt.
En France, Korean a aussi produit Quitus Du Mexique 1’11’’ (Prix de Croix) et Talina Madrik 1’12’’(m) (Prix d’Essai)). Son entraîneur, Fabrice Souloy dit de lui : « Il avait une vitesse extraordinaire sur trois cents mètres. Il n’avait pas besoin de poids et courait avec un lasso en ficelle de 39 centimètres. Mais, si vous rallongiez le lasso de presque rien, cela n’allait plus ! Le jour du Critérium des 4 Ans, au heat, je lui avais mis un lasso un caoutchouc et il était intenable. On lui avait vite remis son lasso en ficelle et il avait gagné ».
Fabrice Souloy entraîna aussi un autre fils de Dahir de Prélong de grande valeur avec Rolling D'heripre 1’10’’ (Critérium des 4 Ans, Critérium Continental et Prix de Sélection) qui fut un rival de choix pour Ready Cash. Il rappelle : « Rolling d’Héripré était d’un genre différent de Korean. Il était un peu entre deux allures, comme certains chevaux qui savent aller très vite ».
Parmi les autres rejetons de Dahir de Prélong, on doit citer Latinus 1’13’’(m) (Prix de Vincennes et des Centaures, 2ème du Prix de Cornulier), Lana Svelte 1’13’’(Prix de la Marne), Phlegyas 1’12’’ (Prix Phaëton, 2ème du Critérium des Jeunes), Scarlet Turgot 1’11’’(a)(m) (Prix Paul Buquet), Tabler 1’11’ (Prix Jean Le Gonidec), sans oublier les Kakisis 1’13’’, Kalahari 1’12’’, Mien 1’15’’, Oblat Pierji 1’13’’, etc. Dahir de Prélong est également devenu le père de mère de Quaker Jet 1’10’’ (Prix René Ballière et des Ducs de Normandie, 4ème des Critériums des 4 et 5 Ans).
Pour finir, laissons la parole à Bertrand Lefèvre : « Dahir de Prélong était vraiment un crack, qui trottait dans son sillage, avec un changement de vitesse terrible. Il relevait un peu en trottant et ne marquait pas ses bottines. Il aurait pu courir sans rien du tout. Un peu tendu au début, il était devenu un vrai cheval d’amateur sur le tard. Ainsi, quand il était parti courir le Grand Prix de l’U.E.T. en Allemagne, on l’avait mis en liberté dans un camion de la STH. Après un arrêt à Rozay-en-Brie, chez Léopold Verroken, le camion avait repris la route et son chauffeur m’avait dit : "Dahir de Prélong s’est couché et ne s’est relevé qu’à l’arrivée à Munich !". »
Le professionnel normand ajoute : « Je l’entraînais en trois heats. Il fallait en effet le défraîchir, d’abord avec une promenade de cinq kilomètres au tout petit trot. Je le laissais ensuite une heure tranquille et je le ressortais pour un parcours de 2 500 mètres. Puis, une demi- heure après, il faisait son troisième heat, soit deux départs et un parcours de 2 000 mètres. Là, j’avançais certes mais pas très dur non plus. Au box, il mangeait et dormait beaucoup. Mais il avait un point faible : ses pieds. Il faisait des seimes, ayant la corne fragile, avec une paroi très fine. Je l’ai touché dix ans trop tôt. J’étais trop jeune, j’avais 25 ans. Avec dix ans de plus, je l’aurais fait driver et il aurait réussi une autre carrière ».
Certes mais il n’est pas dit non plus que Dahir de Prélong se soit bien entendu avec un driver plus dur que Bertrand Lefèvre. Reste que son style et sa vitesse auront marqué les esprits.