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Clissa, la surdouée | LETROT
Série de l'été - les sagas

Clissa, la surdouée

06/09/2024 - PORTRAITS - SETF - Jacques Pauc
Nous vous proposons pendant tout l'été de retrouver les grands champions qui ont écrit la légende du Trot. Chaque vendredi, nous publions un article sur un cheval d'exception. Nous commençons un nouveau chapitre cette semaine consacré aux sagas. Clissa ouvre le bal.
Clissa ©DR - Clissa
Clissa, Michel Gougeon et le vicomte Guillaume de Ballaigue ©DR - Clissa, Michel Gougeon et le vicomte Guillaume de Ballaigue

« DES JAMBES EN CHOCOLAT »

À cause de ses ennuis de jambes qui la handicapèrent toute sa carrière, Clissa fut deux fois absente des pistes durant un an. À la sortie du meeting d’hiver 1971-1972, elle fut éloignée des pistes du 2 janvier 1972 au 7 janvier 1973. Retrouvant la compétition dans le Prix de Croix (6ème), elle courut encore deux fois, terminant de nouveau sixième, puis fut encore arrêtée un an, du 7 février 1973 au 10 février 1974. « Il n’y avait pas de soins comme aujourd’hui à l’époque, pas d’infiltrations. Alors, on la maintenait comme on pouvait avec la neige carbonique. Elle a couru avec des jambes « en chocolat » tout le reste de sa carrière », insista Michel Gougeon.


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Agée de 6 ans, Clissa avait cependant conservé de beaux restes à défaut d’une santé parfaite. Ainsi, dès sa rentrée, elle se classa troisième d’un handicap (le Prix de Châteaudun) avant de finir troisième du classique Prix de Sélection en 1’18’’8 (2 300 m. - GP) derrière Eléazar (parti 50 mètres devant) et Catharina. Cette année-là, elle ne courut cependant qu’une fois ensuite (4ème Prix de l’Atlantique remporté par Chablis), avant de revenir l’hiver suivant (2ème de Bartavelle en lui rendant 25 mètres le 5 décembre 1974). Après une nouvelle deuxième place derrière Calino à qui elle rendait 25 mètres, Clissa devait renouer avec la victoire dans le Prix de Lille, un handicap dans lequel elle rendit 50 mètres à Daos. Elle triompha aisément en 1’17’’2 (2350 m. - GP) sur l’ancienne piste de Vincennes qui, rappelons-le, était moins rapide d’au moins trois secondes en réduction kilométrique que la nouvelle.

Mais Clissa était évidemment mieux qu’une jument de handicaps et tenta ensuite sa chance dans le Prix d’Amérique 1975. Elle mena pratiquement depuis le départ jusque dans le dernier tournant, où Bellino II l’avait rejointe, puis céda et termina non placée. La barre était trop haute pour cette jument en manque d’entraînement intensif et de haute compétition.

Pourtant, marque de sa grande classe, le dimanche suivant, dans le Prix de France sur une distance plus courte, Clissa ne fut battue que de peu par Axius, qui venait de terminer deuxième de Bellino II dans le Prix d’Amérique. Vite derrière les animateurs, elle rejoignit Dimitria dans la ligne d’arrivée, mais ne put résister à Axius (1’18’’2 contre 1’18’’1 sur 2 250 m. - GP). Dimitria terminait ensuite devant Catharina et Aigle Noir. En revanche, dans le Prix de Paris sur 3 150 mètres, Clissa céda encore à la fin (7ème de Bellino II). On ne devait pas la revoir avant l’été (une seule course), puis à l’automne à l’étranger (2ème d’Axius dans le Grand Prix de Dinslaken, 3ème de Wayne Eden et Timothy T dans le Grand Prix de la Flèche d’Europe). Un nouveau meeting d’hiver arrivait et Clissa devait se montrer vaillante face à l’élite. Elle allait pourtant entrer dans sa huitième année.

UNE BELLE ANNÉE DE 8 ANS

Ce fut son année la plus pleine où elle répéta une grande valeur. Battue de peu par Catharina dans un Prix du Béarn remporté par le « rouleau compresseur » Bellino II (qui rendait 25 mètres), Clissa devait dominer nettement Dimitria dans le Prix du Bourbonnais (1’18’’7 - 2 600 m. - GP), alors que Chablis terminait troisième devant Emone. « J’ai démarré un peu tôt quand est venu Equiléo qui rendait 25 mètres et que je craignais. Mais Clissa a alors placé une pointe de vitesse remarquable. Aujourd’hui, elle était parfaite, ne tirait pas. Touchons du bois pour l’avenir », commentait Michel Gougeon après l’arrivée. Cette victoire préludait à un autre succès qui eut lieu dès sa sortie suivante, dans le Prix de Bourgogne, où elle se retrouva aux prises avec Dimitria toute la ligne droite. Elle prit l’avantage dans la dernière battue (1’17’’4 - 2 250 m. - GP). Handicapé de 25 mètres, Bellino II devait se contenter de la troisième place devant Dona et Axius.

Certainement toujours plus à son affaire sur les courtes distances où sa classe pure pouvait mieux faire la différence, Clissa dut juste après se contenter de la sixième place dans le Prix d’Amérique 1’19’’9 - 2 600 m. - GP). Vite en bon rang et encore troisième à mi-ligne droite ce jour-là, elle plafonna à la fin, alors que Bellino II s’imposait devant Catharina et Equiléo. Le dimanche suivant, dans le Prix de France, elle opposa une vive résistance au même Bellino II qui lui rendait 25 mètres et ne s’inclina qu’à la fin (1’16’’8 - 2 250 m. - GP contre 1’15’’9 au lauréat). Espoir de Sée venait ensuite devant Equiléo et Dona.

Quatrième sans démériter de Bellino II dans le Prix de Paris, Clissa alla à Cagnes-sur-Mer disputer le Critérium de Vitesse sur le mile, dont elle termina à la troisième place derrière Bellino II et Dimitria en 1’15’’7. Après deux seconds accessits dans le Prix de l’Atlantique et le Grand Prix d’Aby, elle repartit en Suède pour participer à l’Elitloppet. Lauréate de sa batterie en 1’17’’1 devant Dinès P et Dimitria, elle ne fut battue que tout à la fin (3ème) dans la finale par Dimitria (1’15’’8) et Duke Eran, tout en précédant Dauga et Dinès P (1’15’’9 - 1 609 m. - autostart). « J’avais remporté les deux batteries, l’une avec Clissa, l’autre avec Dauga. Mais on a été battu de peu dans la finale. C’est une course que je n’ai d’ailleurs jamais pu gagner, ayant aussi terminé deuxième en finale avec Quioco et Amyot », regrettait Michel Gougeon.

De retour en France et à Vincennes plus précisément, elle domina de peu Eléazar dans le Prix de la Société d’Encouragement (1’18’’8 - 2 750m. - PP), Colomba II venant ensuite devant Catharina (handicapée de 25 mètres) et Emone. Un mois plus tard, Clissa devait donner une ultime preuve de sa classe, en triomphant brillamment dans le Prix de Washington, à Enghien, où elle rendit facilement 20 mètres à Epigramme et 40 mètres à Florestan sur… 1 600 mètres (1’16’’2) ! Après avoir attendu, elle se rapprocha dans le dernier tournant et « traversa » littéralement ses rivaux pour finir. A travers cet éclair de classe, on avait revu la grande, la vraie Clissa. On ne savait pas que c’était la dernière fois. Car la fille de Quioco fut battue lors de ses dix sorties suivantes, terminant sa carrière en août 1977.

Entrée au haras à 10 ans, en 1978, elle ne devait avoir que peu de produits, trois exactement dont Ursis 1’13’’(a), un mâle de Hadol Du Vivier, vainqueur à Vincennes et à Enghien (5ème Prix de l’Etoile), un cheval qui avait surtout beaucoup de vitesse mais se montrait souvent tendu en compétition. Avant lui, Clissa avait donné Ramsès, un mâle d’Eléazar, et Sita, une femelle de Buffet II, qui ne coururent ni l’un ni l’autre. Cette dernière n’avait pas de tenue. « On n’avait pas pu la qualifier, elle s’arrêtait après un tour de piste !, dira Michel Gougeon avant d’ajouter. Les juments comme Clissa qui ont fait de longue carrière de course ne sont pas souvent les meilleures poulinières. » 

Cependant, Sita devint la mère du bon vainqueur à Paris Kakisis 1’13’ (2ème Prix Alfred Lefèvre) dont son entraîneur, Joël Hallais, dira : « Il n’était pas commode jeune, étant fautif et manquant de maniabilité. Il était aussi un peu « chaud », raison pour laquelle je l’ai fait castrer. Mais, c’était un bon cheval, dur, qui avait de la « rate » et de la tenue, attelé et monté ».

Clissa ©DR - Clissa signe sa dernière victoire, l'été 1976, dans le Prix de Washington à Enghien

UN COEUR ÉNORME

Clissa mourut plus tard, en 1992, à 24 ans, après avoir été souvent vide. Sur le tard, Christophe Toulorge avait pourtant réussi à la faire remplir par Sebrazac. Il explique : « On avait tenté un transfert d’embryon avec Clissa, mais cela n’avait pas marché. Puis elle fut saillie par Sébrazac et avait été pleine. Malheureusement, Clissa et sa pouliche moururent à la naissance de celle-ci. A l’autopsie effectuée par le Dr Plainfossé, on avait pu se rendre compte que Clissa avait un cœur énorme, deux fois plus gros qu’une jument normale ! ». Reste les souvenirs d’une championne surdouée.

« Une jument magnifique, grande, avec du cadre. En action, elle était aérienne, trotteuse, brave, maniable, avec une pointe de vitesse exceptionnelle. D’ailleurs, Clissa et Amyot sont les chevaux les plus vites que j’ai drivés. Clissa avait réussi sur des pistes dures parfois mais, quand un cheval a mal aux jambes comme elle, ce ne sont pas les pistes dures qui les font casser mais les pistes fouillantes, fausses », jugeait Michel Gougeon.


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Dominique de Bellaigue se rappelle quant à lui : « Au début de la carrière de Clissa, Jean-René Gougeon l’avait essayée un jour au travail et nous avait dit : « Quelle jument ! Je n’ai jamais eu cela dans les mains ! ». C’était dire la valeur de Clissa. » De son côté, Joël Hallais, qui l’a vue courir, s’en souvient très bien : « Clissa me plaisait, car elle avait de l’envergure. Elle m’impressionnait par son élégance, son panache. Par exemple, elle était plus brillante que Gamélia, autre championne de l’écurie de Bellaigue ».

Et Pierre-Désiré Allaire a dit de Clissa qu’il avait classée dans ses dix préférés lors d’un questionnaire sur les champions du XXème siècle : "Elle était très impressionnante en action. Sans ses ennuis de jambes, elle aurait fait une toute autre carrière". Pour terminer, on rappellera ce que déclara Michel Gougeon au sujet de la classe de la fille de Quioco : "Un matin au travail, à Grosbois, je l’avais chronométrée en 1’08’’ sur 500 mètres, un temps vraiment exceptionnel pour l’époque (1971) et j’aurais pu aller encore plus vite si j’avais voulu. Sans ses problèmes de jambes, Clissa aurait pu faire une carrière à la hauteur de celle d’Une de Mai. Elle était de la même classe"». 


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