Nous vous proposons pendant tout l'été de retrouver les grands champions qui ont écrit la légende du Trot. Chaque vendredi, nous publions un article sur un cheval d'exception. Nous poursuivons le chapitre des grands stylistes avec Jamin.
Une vedette aux Etats-Unis
Agé de 6 ans, Jamin est alors à son zénith. Pour faire de la publicité autour de ce premier championnat du monde des trotteurs (International Trot) disputé sur l’hippodrome de Roosevelt à New York sur une piste d’un demi-mile (804,50 mètres), les Américains avaient vu grand. Jean Riaud raconte : « Ils avaient fait mettre à Jamin des oreillettes rouges ! Et comme j’avais dit qu’il aimait les artichauts, ils lui en ont envoyé des dizaines de kilos, parfois livrés par hélicoptère ! Ils l’appelaient le cheval aux oreillettes rouges. Cela les amusait. Et quand ils l’ont vu gagner avec sa grande allure lui donnant l’impression de ramper, ils l’ont surnommé « the death’s creeping » soit la mort qui rampe… Ils voulaient dire que lorsque Jamin allongeait ses battues, semblant ramper à toute vitesse, c’était la mort assurée pour ses rivaux. Dans le Championnat du monde, j’avais attendu et pour finir, au sprint, Jamin avait dominé, battant Tornese et l’Américain Trader Horn. »
Dans cette course sur invitations, véritable match entre Européens et Américains, Jamin réussissait 1’18’’1 sur 2413 mètres (autostart) soit une distance d’un mile et demi. Puis, deux essais de record furent organisés. À Springfield après 2000 km en van avec son fidèle soigneur Jean-Claude Van Stenbergh, Jamin, fatigué et heureux de se retrouver dans un vrai box, refusa de se laisser attraper et mettre un licol pour sortir faire des photos ! Et Jamin revint défier tous les meilleurs trotteurs d’âge américains dans l’American Trotting Championship (attelé-2011 mètresautostart) le 18 septembre à Roosevelt. Battu de peu à la lutte par Senator Frost, Jamin fut déclaré gagnant après enquête (en 1’16’’5) car son vainqueur avait galopé pour finir (selon le règlement américain Senator Frost fut rétrogradé à la troisième place). Trader Horn (7ème) était cette fois nettement battu.
Jamin, devenu une vedette à part entière aux Etats-Unis (il fit la couverture du grand journal des sports « Sport Illustrated »), partit ensuite pour Hollywood Park en vue de disputer l’American Trotting Classic sur le mile anglais soit 1609 mètres (autostart), la distance reine outre-Atlantique. Cette épreuve avait lieu en trois manches à une semaine d’intervalle et il fallait en gagner deux pour être déclaré vainqueur.
Jean Riaud raconte : « Dans la première manche, j’avais hérité du numéro 8 en dehors. Les Américains étaient un peu vexés que Jamin les ait battus à New York. Là, ils n’avaient pas voulu que j’assiste au tirage au sort. Et leur champion Trader Horn avait le numéro 9 normalement à mon extérieur. Or au moment du départ il était allé se ranger à la corde derrière le numéro 1 ! J’avais pris les devants en abordant le premier tournant sur cette piste de 1609 mètres, restant en dehors du cheval de tête. Et on avait gagné facilement (en 1’14’’5). Dans la deuxième manche, même scénario sauf que le cheval en dedans de moi m’avait poussé pour finir, ouvrant à Senator Frost qui vint me battre à la fin. Jamin était deuxième. Dans la troisième épreuve, la finale en quelque sorte, j’avais tiré le numéro 2. Or, juste avant le départ le starter m’avait dit : « aujourd’hui le départ va être différent » ! Et là quarante mètres avant le poteau l’autostart démarre à fond et le cheval en dehors de moi sprinte pour m’enfermer. J’avais alors préféré lui résister, pour rester devant. Puis un autre américain m’attaquant en face, j’avais dû contrer à nouveau et finalement, je m’étais retrouvé battu à trente mètres du poteau. On terminait troisièmes. Comme aucun cheval n’avait gagné deux manches ils ont voulu faire une sorte de super finale peu après… Mais, là, j’ai dit « non, cela suffit, je préfère rentrer en France. De plus, je voulais rentrer pour aller à Milan courir le Grand Prix des Nations pour pouvoir remporter le Grand Circuit Européen aux points » (NDLR : Jamin terminera deuxième de Tornese à Milan et gagnera ce grand circuit Européen 1959).
1’14’’4 départ aux élastiques !
Un nouveau meeting d’hiver s’annonçait pour Jamin, avec un rendement distance de… 50 mètres dans le Prix d’Amérique. Pas ce qu’on appelle une partie de plaisir. Deuxième du Prix du Bourbonnais de Jour de Veine (rendant 75 mètres à la tête) pour sa rentrée à Vincennes fin décembre, Jamin dût se contenter de la quatrième place dans le Prix de Bourgogne où il rendait 50 mètres aux chevaux du premier échelon. Ce jour-là, le terrain était très lourd de plus. Mais Jean Riaud devait recevoir peu après une lettre de Mme Olry Roederer, propriétaire du cheval, l’accusant dira-t-il « de ne pas avoir défendu toutes ses chances dans le Prix de Bourgogne. De l’avoir tiré en quelque sorte ! Mme Olry Roederer n’allant pratiquement jamais aux courses cette lettre avait dû être dictée… Sentant mon cheval cuit à l’entrée de la ligne droite je l’avais juste commandé aux bras mais certainement pas tiré ! Voyant cela, j’ai dit que je ne le driverai pas dans le Prix d’Amérique. J’avais demandé à Charley Mills et Jean-René Gougeon de me remplacer mais ils ont refusé par solidarité envers moi. J’ai toujours la lettre de Mills me disant ’’j’aurais fait comme vous Jean’’. Chyriacos m’a alors parlé de Gerhard Kruger, un jeune driver de talent venant d’Allemagne de l’Est. Kruger était un peu kamikaze et en bas de la descente, passant en dedans d’un Italien il y avait eu contact et la fourche du sulky de Jamin se retrouva félée… Il a pu finir le parcours tout de même, terminant troisième. »
Jamin fut le premier à passer sous la barre de 1’20’’dans le Prix d’Amérique (réussissant 1’19’’9 sur 2650 mètres), venant terminer fort troisième juste derrière Hairos II et Tornèse, après avoir été longtemps bloqué. Une semaine plus tard, Jean Riaud reprenait sa place dans le sulky du crack et tous deux rendaient 25 mètres victorieusement à Jariolain après une vive lutte dans le Prix de France (1’19’’8-2275 m). Mais dans le Prix de Paris ce fut plus facile, Jamin dominant Jariolain et Kaid D en leur rendant 50 mètres (1’21’’6-3400 mètres).
« Juste avant ce Prix de Paris, Mme Olry Roederer m’avait envoyé vingt-cinq bouteilles de champagne Cristal Roederer en s’excusant pour la lettre » dira Jean Riaud. Puis ce fut une épreuve qui n’existe plus aujourd’hui : le Critérium International (attelé-1600 mètres) à Enghien, le 20 février 1960, à la sortie de l’hiver donc. Jamin devait y réussir un de ses plus grands exploits. Le départ avait lieu aux élastiques et non à l’autotart malgré la courte distance et Jamin laissa mener Tornese grand train. Celui-ci faisait encore figure de vainqueur à 50 mètres du poteau, quand : « J’étais venu non loin de Tornese à mi-ligne droite quand Infante II m’a attaqué. Là, je me suis dit ’’Ah non tu ne vas pas être troisième !’’ J’ai alors empoigné Jamin, lui mettant même un coup de cravache et mon cheval, au courage, est venu battre Tornese sur le poteau, celui-ci s’enlevant d’ailleurs à la fin sous l’effort. Le pauvre Jamin ne devait jamais récupérer de cette course. La piste était dure il faut dire, et il était rentré avec une bleime. Il n’a jamais regagné une course ensuite. »
Jamin avait bouclé les 1600 mètres en 1’14’’4 nouveau record d’Europe… Or répétons-le, ce chrono fut réussi sans l’aide de l’autostart qui fait gagner au moins une seconde en réduction kilométrique… L’été suivant, Jamin retourna courir aux Etats-Unis contre l’avis de Jean Riaud. Il faut dire que les Américains avaient offert 800 000 dollars du champion (400 millions de centimes en 1960) en vue ensuite de le syndiquer chez eux comme étalon. Proposition acceptée et qui n’aboutit pas à cause de droits de douane trop élevés (10 %) selon la version officielle… mais celle-ci est fausse d’après Jean Riaud : « C’était surtout un coup des dirigeants de Yonkers Raceway voulant que Jamin aille courir chez eux car il avait gagné sur un hippodrome concurrent, à Roosevelt, l’année précédente. Or pour moi, Jamin n’était plus le même, je ne voulais pas y aller. Mais j’étais encore jeune et ne pouvais pas contredire mes propriétaires. On a donc fait le voyage quand même, Jamin terminant quatrième du Gotham Trot. Et comme il n’avait pas gagné, ils ne purent lancer la syndication. Ils ne l’ont donc évidemment pas acheté. »
La dernière sortie de Jamin eut lieu le 15 janvier 1961 dans le Prix de Bourgogne (3ème de Jocrisse en rendant 50 mètres). Tombé boiteux à l’entraînement, il devait entrer au haras peu après, à 8 ans. S’il ne réussit pas vraiment en production directe, Salbry 1’20’’ (Critérium des Jeunes), Tessa II 1’17’’ (1ère Prix J.Olry, Ph.du Rozier, 3ème Prix des Centaures) et Vinci II 1’17’’ (1er Prix Octave Douesnel, 2ème Critérium des 5 ans) étant ses meilleurs rejetons, Jamin devint un bon père de mères. Ses filles ont en effet donné les Hymour 1’15’’(Prix d’Amérique, de France), Marco Bonheur 1’15’’(Critérium des 4 ans), Jalys du Roncey 1’18’’(Critérium des Jeunes), Olvera 1’16’’, Fleuronné 1’16’’(Prix de Paris), Hêtre Vert 1’15’’, Ispahan 1’14’’, Kimberland 1’15’’, Greyhound 1’17’’, Joachim 1’16’’, Natacha du Buisson 1’16’’, Rokardo 1’16’’ etc… Parmi eux Kimberland 1’15’’, Greyhound 1’17’’ (père du crack Ourasi 1’12’’ (quatre Prix d’Amérique)) et Hêtre Vert 1’15’’ devinrent de bons reproducteurs. Et une grande poulinière comme Tahitienne (Kimberland) mère des classiques Extreme Dream 1’14’’, Goetmals Wood 1’11’’ et Mahana 1’12’’, se trouve être par exemple inbred sur Jamin (3x4).
Un dévoreur d’espace
Mais, en fin de compte, Jamin aura surtout marqué les esprits par son style. Adulé aux Etats-Unis nous l’avons dit, il aura séduit tous ceux qui le virent en piste. Lançant loin devant lui ses antérieurs il semblait dévorer l’espace. Il avait quelque-chose de félin en lui, par sa souplesse et sa façon d’aller vite sans donner justement l’impression de forcer. Il paraissait glisser sur la piste alors que beaucoup de trotteurs « piochent » quand ils commencent à fatiguer.
Parmi les grands professionnels l’ayant vu courir on peut citer Léopold Verroken : « En classe pure Jamin fut le meilleur de tous. C’était plus un cheval de vitesse qui avait une grande action, un peu comme Buffet II. Il était allé battre les Américains chez eux sur leur distance, 1609 mètres. Cela, il fallait le faire ! Chez moi, à Arras, ma femme tenait un PMU et j’avais fait mettre un poster de Jamin sur un mur entier ! »
Pour Jean-Pierre Dubois : « J’ai débuté l’année des « F », aussi je l’ai vu courir à maintes reprises. C’était un super champion, aux grandes allures, mais qui ne steppait pas. »
Ali Hawas dira : « A l’époque il fallait rendre la distance dans tous les Internationaux, sinon il aurait pu gagner quatre ou cinq Prix d’Amérique. C’était un phénomène, aujourd’hui il aurait trotté 1’09’’ ou 1’10’’ à Vincennes. »
Jean-René Gougeon commentait : « Jamin avait une envergure incroyable. Il m’a beaucoup marqué. J’étais en admiration devant ce cheval. Il était allé battre les américains chez eux sur des petites pistes qui le désavantageaient vu sa grande action. »
Pierre-Désiré Allaire enfin rappelait : « Quand on voyait trotter Jamin, il vous sortait le sang des veines comme lorsqu’Edith Piaf chantait ou quand Nureyev dansait. C’était un félin lorsqu’il mettait le « turbo ». Il avait un style que l’on avait jamais vu. »
Et que l’on n’a pas revu depuis peut-on dire en conclusion.