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Les grands stylistes : Ozo, le panache en plus | LETROT
Série de l'Eté

Les grands stylistes : Ozo, le panache en plus

02/08/2024 - AVANT COURSES - SETF - Jacques Pauc
Nous vous proposons pendant tout l'été de retrouver les grands champions qui ont construit la légende du Trot. Chaque vendredi, nous publions un article sur un cheval d'exception. Nous continuons le chapitre des grands stylistes avec Ozo.
Ozo ©DR - Ozo
Ozo ©DR - Ozo était aussi douée au Sulky qu'à l'Etrier

Le Prix d’Amérique à 5 ans

Lauréate du Prix Ariste Hémard le 15 décembre pour sa rentrée à Vincennes (devant Olten L, rendant 25 mètres comme elle, et Oscar R L) Ozo ne put figurer dans le Prix de Croix où elle avait la tâche impossible de rendre… 75 mètres à l’élite des 5 ans.

Même remarque pour le Prix de Bourgogne où elle était handicapée de 50 mètres vis-à-vis de ses ainés. Puis ce fut l’aventure du Prix d’Amérique où il partait favorite (à 11/10). Newstar et Masina, lauréates lors de précédentes éditions, rendaient 25 mètres et Ozo put prendre la direction des opérations dès le passage devant les tribunes. Roger Massue contrôla ainsi ses rivaux tout en faisant du train et dans le dernier tournant, la jument ayant encore d’évidentes ressources. Elle put ainsi contenir sûrement l’attaque finale d’Oscar R L (en 1’20’’1-2700 m-GP), toujours là, alors que l’Italo-Américain Quick Song terminait troisième à toute allure devant Nicias Grandchamp, Narold M, Narvick D J et Newstar.

Ce fut la consécration pour Roger Massue qui, de plus, venait d’acheter Ozo à la famille Gillain peu de temps avant, « après que la succession de mon grand- père Alfred Gillain (décédé en décembre 1961) se fut mise d’accord avec lui pour la vente » nous apprendra Rachel Popot. 


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Cette année-là, Ozo fut pourtant souvent battue, en France (2ème du Prix de l’Atlantique d’Olten L après un mauvais départ, 2ème du Prix de l’Etoile de Ponant, 3ème du Prix des Elites), comme à l’étranger (5ème du Transoenic Trot aux Etats-Unis, 6ème de la finale du Grand Prix de la Loterie). Mais elle fit aussi sensation en Suède en dominant de la tête et des épaules la finale de l’Elitloppet (en 1’16’’5-1609 mètres-autostart) précédant Adept, Julienne, Oscar R L et Minarelle H) après avoir surclassé ses rivaux dans sa batterie. Roger Massue était associé à sa championne. Et il lui avait entouré la queue avec un linge blanc peu esthétique pour empêcher Ozo de trotter la queue en panache, ce qui le gênait au sulky.

Mais en France les turfistes ne voulurent pas que Massue attache la queue de la jument, se rappelle Robert Jamard. Cela faisait partie, il est vrai, parti du style unique d’Ozo, ce pourquoi elle était si populaire. Peu après, Gerhard Kruger la driva de nouveau pour remporter le Grand Prix de Bavière devant Behave et Brogue Hanover (en 1’19’’1-2100m, terrain lourd) après qu’Ozo eut perdu du terrain sur une faute au départ.

Et sa rentrée à Vincennes dans le Prix Marcel Laurent (2ème de Pastourelle VIII en lui rendant 25 mètres, précédant Pépite et Olten L) fut brillante, car Ozo revint de loin terminer très fort (1’18’’7-2350 mètres-GP). Après une 5ème place dans le Prix de Bourgogne (où elle rendait 50 mètres), elle passa ensuite le poteau au galop pour la deuxième place dans le Prix de Cornulier, en tentant de revenir sur Prince des Veys. Louis Sauvé lui était associé et dira : « C’était de ma faute, j’avais trop attendu et Jean Mary m’avait pris plusieurs longueurs sur un démarrage avec Prince des Veys. »

Pourtant, on ne tint pas compte de ces échecs. Le public était amoureux d’elle et lui pardonnait tout. Et, bien que devant rendre 25 mètres, elle faisait partie des favoris du Prix d’Amérique 1964. Battue, elle n’eut cependant pas de chance car un concurrent Italien la gêna fortement dans le dernier tournant où elle se rapprochait vivement. « Roger Massue était fou furieux après l’arrivée » dira Robert Jamard, « il cherchait partout l’Italien pour en découdre ! ».

L’Italo-Américain Nike Hanover (J.Fromming) l’emporta devant Nisos H et Morlant D en 1’18’’9, nouveau record de la course. En théorie il eut donc été difficile de lui rendre 25 mètres. Mais sait-on jamais, Ozo étant capable de tout dans un grand jour…

Avec Johannes Fromming 

L’année de ses 6 ans, Ozo voyagea de nouveau beaucoup après avoir terminé deuxième de Quioco dans le Prix des Centaures (en lui rendant 50 mètres). Ainsi on la retrouva au printemps au Danemark (3ème d’Elaine Rodney dans le Championnat International) puis en Suède où, avec Roger Massue, elle se fit battre à la fin par Pack Hanover dans la finale de l’Elitloppet (en 1’15’’5-1609 mètres-autostart), Elaine Rodney et Nike Hanover se classant quatrième et cinquième.

Roger Massue laissa alors sa place sur le sulky à Johannes Fromming pilote Allemand de grand talent. Pour leur premier contact, Ozo termina en trombe dans le Prix d’Europe à Enghien (3ème de Prince Vendéen en 1’19’’-2850 m) après avoir été retardée par une grosse faute en face. Ce jour-là, Ozo boucla son ultime kilomètre en 1’14’’ et ses derniers 500 mètres sur le pied de 1’10’’, faisant dire à Fromming : « Je n’ai jamais vu quelque chose de pareil, quelle jument !»

Quatrième du champion américain Speedy Scot à Wesbury aux Etats-Unis peu après, Ozo triompha dans la Challenge Cup toujours menée par Johannes Fromming. « Dès que je me suis retrouvé en tête, j’étais très confiant pour la victoire » devait dire celui-ci, Ozo battant l’excellent américain Su Mac Lad (Stanley Dancer) et l’ex-Français Pick Wick (en 1’17’’1-2011 mètres-autostart).

Si Roger Massue gagna par la suite à Hambourg (battant Oscar R L et Nisos H sur 2600 mètres) avec la grande jument noire, Fromming la reprit en main pour dominer de nouveau Oscar R L en Allemagne avant de triompher de Steno, Oscar RL et Elaine Rodney dans le Grand Prix des Nations (1’18’’1 attelé-2100 mètres) en Italie. Venue de loin, Ozo ne laissa aucune chance à ses adversaires pour finir malgré une roue crevée à 300 mètres du poteau. Elle et Fromming s’entendaient de mieux en mieux. Dès lors, Roger Massue ne voulut pas rompre l’harmonie du couple dans le Prix d’Amérique 1965, laissant l’Allemand mener sa championne. Fromming (plus de 5 000 victoires), très fort dans la course d’attente, était réputé pour être un driver de femelles exceptionnel (comme avec Delmonica Hanover, Elma ou Eileen Eden). 

Durant l’hiver, Ozo fut battue par son vieux rival Oscar RL dans le Prix de Bourgogne, ultime épreuve préparatoire au Prix d’Amérique. Juste après cette course, Johannes Fromming demanda à Roger Massue delui laisser entraîner Ozo avant le jour J. Roger Massue accepta. Ozo s’entrainait alors au Tremblay près de Vincennes. Favorite du Prix d’Amérique à 7/10, elle se plaça rapidement en bonne position d’attente. Et Fromming patienta encore jusque dans la ligne d’arrivée pour la lancer, après avoir pris l’ultime virage en troisième épaisseur. Ozo fit alors vite preuve de supériorité et l’excellente fin de course de l’américaine Elaine Rodney (drivée par Gerhard Kruger) put seulement l’amener à la deuxième place devant Oscar RL, Petit Amoy F et Apex Hanover.

Ozo, paré des couleurs de Roger Massue, remportait donc en 1’20’’5 (2700 m-GP- autostart) son deuxième Prix d’Amérique. Après l’arrivée Fromming déclarera « Déjà à mi- parcours j’étais certain de gagner ce Prix d’Amérique. Quand elle est dans cette forme, Ozo est vraiment le meilleur trotteur du monde. » Ce devait-être pourtant quelque part son chant du cygne. Nettement battue dans le Prix de Paris (où elle était handicapée de 50 mètres) et à Enghien dans le Critérium Continental (fautive), Ozo allait prendre la route de Cagnes-sur-Mer pour disputer le Critérium de Vitesse.

Un dernier exploit

Elle devait y réussir son dernier exploit. Car la jument fut prise de coliques dans son box sur l’hippodrome. L’assurance ne voulait pas la couvrir si elle courait. Et Fromming refusa de venir la driver. Mais après de longues heures de souffrances les coliques cessèrent enfin. Ozo reprit goût à la vie et Roger Massue décida de courir ! Ozo, convalescente donc, remporta sa dernière victoire autant avec sa classe qu’avec son courage, résistant sûrement à Fury Hanover après avoir animé la course (tous deux réussissant 1’16’’7 sur le mile). Malheureusement la jument devait encore souffrir un peu plus tard et il fut décidé de l’opérer. Le Dr Plainfossé découvrit une tumeur de la grosseur d’un melon sur l’ovaire gauche. Ce qui devait évidemment gêner la jument depuis longtemps. Et cela pouvait expliquer son port de queue spécial. « Ce n’est pas normal de trotter ainsi la queue en panache, la jument doit avoir quelque chose » avait d’ailleurs dit Jan Kruithof père à Ali Hawas.

Sauvée mais sans aucun doute diminuée, Ozo se présenta en compétition cinq fois sans succès (disputant notamment son quatrième Prix d’Amérique) avant que ses ennuis de santé ne la rattrapent définitivement. Une polémique enfla alors selon laquelle Ozo aurait dû ne plus courir après son opération. Mais Roger Massue, qui aimait Ozo, avait cru jusqu’au bout qu’elle pourrait se retrouver. C’est humain et cela est arrivé avec nombre d’autres grands champions du trotting.


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En 1966, à 8 ans donc, Ozo fit une nouvelle crise de coliques chez Roger Massue et malgré les soins prodigués et la science vétérinaire, la jument décéda, sans doute d’une occlusion intestinale. Roger Massue lui fit faire une stèle sur l’hippodrome de Villedieu-les-Poëles où il l’entrainait le plus souvent.

L’annonce de sa mort causa de la peine aux fans du trotting du monde entier. Car il faut savoir que durant sa carrière son entourage reçut des lettres des Etats-Unis adressées à « Mlle Ozo-France » ! Ozo avait enchanté tous les amoureux du trot et porté durant de nombreuses années au plus haut la réputation du trotteur Français.

Une Reine

Ozo enchanta aussi les professionnels et les connaisseurs. Ceux qui lui furent associés bien entendu, tels François Brohier qui expliquait : « aérienne dans son trot, on avait l’impression qu’elle rebondissait comme une balle de ping pong ! » ; Louis Sauvé : « elle était très racée, avec beaucoup de geste .C’était une jument magnifique. » ; Pierre Giffard : « c’était un phénomène, une jument hors normes. » Nous avons déjà cité Johannes Fromming et Gerhard Kruger qui tous deux dirent en quelle estime ils tenaient Ozo. Pour Ali Hawas : « Ozo fut la meilleure jument que j’ai vue à l’attelage. Un jour elle a perdu un fer au canter. On ne l’a même pas referrée. Et elle s’est tout de même baladée. C’était un phénomène.» Et Pierre-Désiré Allaire se souvient : « Ozo était une jument noire qui ’’appelait la foule’’, elle était différente des autres. C’était la très grande classe, une reine.»

Il est vrai qu’on la reconnaissait immédiatement au milieu d’un peloton. On ne voyait qu’elle. Un jour Léon Zitrone, commentant une de ses courses à la télévision, au moment où Ozo trottait plein écran la queue en panache, eut ce mot : « le monde semble se séparer en deux parties, à gauche de la queue d’Ozo et à droite de la queue d’Ozo ! ». Tel est le résumé de la vie de celle qui avait faire dire à Roger Massue alors qu’elle n’avait que 3 ans : « avec elle on ira gagner en Amérique ». Le rêve devint plus tard réalité, comme dans les contes de fées. Morte jeune, elle eut le destin fulgurant de beaucoup d’êtres d’exception. Vers la fin, racontait Roger Massue « Ozo s’appuyait le long des murs de son box, refusant de se coucher, comme si elle craignait de ne plus pouvoir se relever ». Et puis elle est partie un peu à la manière de Cyrano, emportant avec elle, ce que ni la maladie, ni le temps passé, ni les courses dures n’avaient pu altérer... son panache. Ce panache qui fit d’elle une jument inoubliable.

Le Prix d'Amérique 1965 d'Ozo par Léon Zitrone

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